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ASCANIO.

nettement avoué ses prétentions. Cellini l’avait gravement écoutée et avait répondu :

— Il faudra voir.

Le fait est qu’il aurait préféré retourner au fort Saint-Ange, au risque de se casser une seconde fois la jambe en s’évadant. Non qu’il méprisât sa chère Scozzone : il l’aimait tendrement et même un peu jalousement, nous l’avons vu, mais il adorait avant tout l’art, et sa vraie et légitime dame était d’abord la sculpture. Puis, une fois marié, l’époux n’attristerait-il pas le gai bohémien ? Le père de famille ne gênerait-il pas le ciseleur ? Et, d’ailleurs, s’il avait dû épouser tous ses modèles, il serait pour le moins cent fois bigame.

— Quand je cesserai d’aimer et de modeler Scozzone, se disait Benvenuto, je lui trouverai quelque brave garçon à la vue trop courte pour voir dans le passé et envisager l’avenir, et qui ne verra qu’une jolie femme et une jolie dot que je lui donnerai. Et ainsi je satisferai cette rage qu’a Scozzone de porter bourgeoisement le nom d’un époux. Car Benvenuto était convaincu que c’était surtout un mari que voulait Scozzone. Peu lui importait qui fût ce mari.

En attendant, il laissait la petite ambitieuse se bercer tant qu’elle voulait de ses chimères. Mais depuis l’installation au Grand Nesle, il n’y avait plus à se faire illusion, et Scozzone, voyant bien qu’elle n’était pas aussi nécessaire à la vie et aux travaux de Cellini qu’elle l’avait pensé, ne réussissait plus à dissiper par sa gaîté le nuage de tristesse dont son front était couvert, et il avait commencé à modeler en cire une Hébé pour laquelle elle ne posait pas. Enfin, chose affreuse à penser ! la pauvre petite avait essayé de faire la coquette avec Ascanio devant Cellini sans que le