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ASCANIO.

de sa paillasse deux énormes poignées de ces feuilles de maïs qui composent les paillasses italiennes, fourra à leur place la paire de draps, revint à sa statue, reprit son outil et se remit au travail. Au même instant le domestique rentra pour reprendre les draps oubliés, chercha partout, demandant à Benvenuto s’il ne les avait pas vus ; mais Benvenuto répondit négligemment et comme absorbé par son travail de modeleur que quelques-uns de ses camarades étaient sans doute venus les prendre, ou que lui-même les avait emportés sans y prendre garde. Le domestique ne conçut aucun soupçon, tant il s’était écoulé peu de temps entre sa sortie et sa rentrée, tant Benvenuto joua naturellement son rôle ; et comme les draps ne se retrouvèrent point, il se garda bien d’en parler de peur d’être forcé de les payer ou d’être mis à la porte.

On ne sait pas ce que les événemens suprêmes contiennent de péripéties terribles et d’angoisses poignantes. Alors les accidens les plus communs de la vie deviennent des circonstances qui éveillent en nous la joie ou le désespoir. Dès que le domestique fut sorti, Benvenuto se jeta à genoux et remercia Dieu du secours qu’il lui envoyait.

Puis, comme une fois son lit fait on ne retouchait jamais à son lit que le lendemain matin, il laissa tranquillement les draps détournés dans sa paillasse.

La nuit venue il commença à couper ces draps, qui se trouvèrent par bonheur neufs et assez grossiers, en bandes de trois ou quatre pouces de large, puis il se mit à les tresser le plus solidement qu’il lui fut possible ; puis enfin il ouvrit le ventre de sa statue, qui était en terre glaise, l’évida entièrement, y fourra son trésor, repassa dessus la blessure une pincée de terre, qu’il lissa avec le pouce et