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Scène II.

 

LA VICOMTESSE, MADAME DE CAMPS, EUGÈNE.
MADAME DE CAMPS.

J’arrive de bonne heure, chère Marie ; il est si embarrassant pour une veuve de se présenter seule au milieu d’un bal ; on sent tous les regards se fixer sur soi.

LA VICOMTESSE.

Mais il me semble que c’est un malheur que moins que tout autre vous devez craindre.

MADAME DE CAMPS.

Vous me flattez ; est-ce que vous m’en voulez encore de notre petite querelle littéraire ?… — (À Eugène.) C’est vous qui la rendez romantique, monsieur ; c’est un péché duquel vous répondrez au jour du jugement dernier.

EUGÈNE.

Je ne sais trop, madame, par quelle influence je pourrais…

MADAME DE CAMPS.

Oh ! ni moi non plus ; mais le fait est qu’elle ne dit plus un mot de médecine, et que Bichat, Broussais, Gall et M. Delaunay sont complètement abandonnés pour Shakespeare, Schiller, Goëthe et vous.

LA VICOMTESSE.

Mais, méchante que vous êtes, vous feriez croire à des choses…

MADAME DE CAMPS.

Oh ! ce n’est qu’une plaisanterie… Et qui aurons-nous à notre belle soirée ?… tout Paris ?…

LA VICOMTESSE.

D’abord… puis nos amis habituels, quelques présentations de jeunes gens qui dansent ; c’est précieux, l’espèce en devient de jour en jour plus rare… Ah ! Adèle d’Hervey, qui rentre dans le monde.

MADAME DE CAMPS.

Oui, qu’elle a quitté sous prétexte de mauvaise santé, depuis trois mois, depuis son départ, depuis son aventure dans une auberge… que sais-je, moi !… Comment, chère Marie, vous recevez cette femme ?… Eh bien ! vous avez tort… vous ne savez donc pas ?…

LA VICOMTESSE.

Je sais qu’on dit mille choses dont pas une n’est vraie peut-être… Mais Adèle est une ancienne amie à moi.

MADAME DE CAMPS.

Oh ! ce n’est point non plus un reproche que je vous fais… vous êtes si bonne, vous n’aurez vu dans cette invitation qu’un moyen de la réhabiliter ; mais ce serait à elle à comprendre qu’elle est déplacée dans un certain monde, et, si elle ne le comprend pas, ce serait charité que de le lui faire sentir. Si son aventure n’avait pas fait tant d’éclat encore… Mais pourquoi sa sœur se presse-t-elle de dire qu’elle est partie pour rejoindre son mari, puis, quelques jours après, on la voit revenir ? M. Antony, absent avec elle, revient en même temps qu’elle… Vous l’avez sans doute invité aussi M. Antony ?

LA VICOMTESSE.

Certes !

MADAME DE CAMPS.

Je serai enchantée de le voir M. Antony ; j’aime beaucoup les problèmes.

LA VICOMTESSE.

Comment ?

MADAME DE CAMPS.

Sans doute ; n’est-ce point un problème… vivant au milieu de la société, qu’un homme riche, dont on ne connaît ni la famille ni l’état ? Quant à moi, je ne connais qu’un métier qui dispense d’un état et d’une famille.

EUGÈNE.

Ah ! Madame !

MADAME DE CAMPS.

Sans doute ! rien n’est dramatique comme le mystérieux au théâtre ou dans un roman… mais dans le monde !

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Monsieur Le baron de Marsanne, monsieur Frédéric de Lussan, monsieur Darcey. — (Puis quelques autres personnes qu’on ne nomme pas.)


Scène III.

 

LA VICOMTESSE, MADAME DE CAMPS, EUGÈNE, FRÉDÉRIC, le baron de MARSANNE.
LA VICOMTESSE, dit quelques mots à chacun des arrivants.

Oh ! c’est bien aimable à vous, monsieur le baron. — (Avec familiarité à Frédéric.) Vous êtes un homme charmant ; vous danserez, n’est-ce pas ?

FRÉDÉRIC.

Mais, madame, je serai à vos ordres aujourd’hui, comme toujours.

LA VICOMTESSE.

Faites attention, j’ai des témoins… Monsieur Darcey, je vous avais promis à ces dames. — (À des dames qui entrent.) Oh ! comme vous êtes jolie ! venez ici, mon bel ange. — (À la maman.) Vous nous la laisserez, n’est-ce pas ? bien tard ! bien tard !