Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/105

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remords à tes gémissements ; c’est moi qui t’ai perdue, moi qui suis un misérable, un lâche ; je t’ai déshonorée, et je ne puis rien réparer… Dis-moi, que faut-il faire pour toi ?… Y a-t-il des paroles qui consolent ? demande ma vie, mon sang… par grâce, que veux-tu, qu’ordonnes-tu ?…

ADÈLE.

Rien… Vois-tu, il m’est passé là souvent une idée affreuse… c’est que peut-être une fois, une seule fois, tu as pu te dire dans ton cœur : Elle m’a cédé, donc elle pouvait céder à un autre.

ANTONY.

Que je meure si cela est !

ADÈLE.

C’est qu’alors pour toi aussi je serais une femme perdue… toi aussi tu dirais : C’est ma maîtresse !

ANTONY.

Oh ! non, non… tu es mon âme, ma vie, mon amour.

ADÈLE.

Dis-moi, Antony, si demain j’étais libre, m’épouserais-tu toujours ?

ANTONY.

Oh ! sur Dieu et l’honneur… oui.

ADÈLE.

Sans crainte… sans hésitation ?

ANTONY.

Avec ivresse.

ADÈLE.

Merci ! il me reste donc Dieu et toi, que m’importe le monde ?… Dieu et toi savez qu’une femme ne pouvait résister à tant d’amour… Ces femmes si vaines, si fières, eussent succombé comme moi… si mon Antony les eût aimées ; mais il ne les eût pas aimées, n’est-ce pas ?…

ANTONY.

Oh ! non, non…

ADÈLE.

Car quelle femme pourrait résister à mon Antony ? Ah !… tout ce que j’ai dit est folie… je veux être heureuse encore, j’oublierai tout pour ne me souvenir que de toi… Que m’importe ce que le monde dira ? je ne verrai plus personne, je m’isolerai avec notre amour, tu resteras près de moi ; tu me répéteras à chaque instant que tu m’aimes, que tu es heureux, que nous le sommes ; je te croirai, car je crois en ta voix, en tout ce que tu me dis ; quand tu parles, tout en moi se tait pour écouter, mon cœur n’est plus serré, mon front n’est plus brûlant, mes larmes s’arrêtent, mes remords s’endorment… j’oublie…

ANTONY.

Non, je ne te quitterai plus, je prends tout sur moi, et que Dieu m’en punisse, oui, nous serons heureux encore… calme-toi.

ADÈLE, dans les bras d’Antony.

Je suis heureuse !… — (La porte du salon s’ouvre, la vicomtesse parait.) Marie ! — (Adèle jette un cri et se sauve par la porte de côté.)

ANTONY.

Malédiction !


Scène IX.

 

ANTONY, LA VICOMTESSE, puis LOUIS.
LA VICOMTESSE.

Monsieur, ce n’est qu’après vous avoir cherché partout que je suis entrée ici.

ANTONY, avec amertume.

Et sans doute, madame, un motif bien important ?…

LA VICOMTESSE.

Oui, monsieur ; un homme, qui se dit votre domestique, vous demande… ne veut parler qu’à vous… Il y va, dit-il, de la vie et de la mort.

ANTONY.

Un domestique à moi… qui ne veut parler qu’à moi… oh ! madame, permettez qu’il entre ici… pardon… si c’était… et puis, au nom du ciel ! dites à Adèle… à la baronne… de venir… de venir à l’instant… cherchez-la, madame, je vous en prie… vous êtes sa seule amie…

LA VICOMTESSE.

J’y cours. — (Au domestique.) Entrez.

ANTONY.

Louis !… Oh ! qui te ramène ?

LOUIS.

Le colonel d’Hervey est parti hier matin de Strasbourg ; il sera ici dans quelques heures.

ANTONY.

Dans quelques heures… — (Appelant.) Adèle !… Adèle !…

LA VICOMTESSE, rentrant.

Elle vient de partir.

ANTONY.

Pour retourner chez elle… malheureuse ! arriverai-je à temps ?