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Pour moi, j’y reconnais toute mon impuissance.

MONALDESCHI.

Oh ! prenez donc de tous meilleure connaissance.
Quand j’obtins ma faveur, je vous vis autrefois
Pour me la disputer faire valoir ces droits.

SENTINELLI.

Oui ; mais, nous jugeant mieux que vous-même, la reine
Vous a fait écuyer et m’a fait capitaine.
Chacun dans son emploi prouve son dévoûment ;
Le votre se consacre à son amusement ;
Il doit se borner là. — Moi, ma tâche m’appelle
À des devoirs qui font moins ressortir mon zèle ;
Et quand sa voix me pousse à de sanglants débats,
Vous dressez les chevaux sur lesquels je combats.

MONALDESCHI.

S’il le fallait, monsieur, je prouverais, j’espère,
Que jusqu’à d’autres soins s’étend mon ministère.

SENTINELLI.

Tant mieux, marquis, tant mieux ! car le jour n’est pas loin
Où de tous ses amis la reine aura besoin.
On pourra distinguer alors dans la carrière
Lequel doit de nous deux demeurer en arrière ;
Et l’on saura juger qui de vous ou de moi
Craint le plus pour ses jours et garde mieux sa foi.

MONALDESCHI.

La vôtre aura besoin de ce grand témoignage ;
Car sur elle bientôt quelque léger nuage…

SENTINELLI.

Expliquez-vous, monsieur.

MONALDESCHI.

Expliquez-vous, monsieur. La reine, je le croi,
Lorsqu’il en sera temps, s’expliquera pour moi.


Scène II.

Les précédents ; CHRISTINE, PAULA, tenant la lettre pour Cromwell.
CHRISTINE.

Respectant jusqu’ici ma présence royale,
Vous saviez contenir voire haine rivale ;
Et, si je surprenais ses regards menaçants,
Vous me daigniez du moins épargner ses accents.
Messieurs, faudra-t-il donc, pour finir cette guerre,
Envoyer l’un en Suède et l’autre en Angleterre ?

SENTINELLI.

À cet exil déjà l’un vient de consentir ;
L’autre n’attend qu’un mot pour rester ou partir.

CHRISTINE.

Le marquis d’exilé n’emporte pas le litre :
De puissants intérêts nous le faisons l’arbitre,
Et nous comptons prouver, à l’heure du départ,
Que de notre faveur il a gardé sa part ;
Venez ce soir, marquis ; ma dernière audience
Vous fera preuve encore de notre confiance.
J’ai permis à Paulo de partir avec vous.

PAULA.

Je suis prêt.

(Monaldeschi et Paula sortent.)

Scène III.

CHRISTINE, SENTINELLI.
CHRISTINE.

Je suis prêt. D’exilé le titre est donc bien doux,
Comte ?

SENTINELLI.

Comte ? Pourquoi ?

CHRISTINE.

Comte ? Pourquoi ? Dès lors qu’on offre de le prendre,
C’est qu’en sa conscience on a droit d’y prétendre,
Et que d’un jugement calculant le péril,
Ainsi qu’une faveur on recevrait l’exil.

SENTINELLI.

J’ai droit, quelle que soit la faveur qu’on m’impose,
Avant de l’accepter d’en connaître la cause,
Madame ; et dans mon cœur je sens trop de fierté
Pour que j’accepte moins que je n’ai mérité.

CHRISTINE.

Nous serons juste alors ; mais je ne sais encore
Tout le prix que je dois à des soins que j’ignore.
Ce courrier seulement, en mes mains parvenu,
Me fixerait sur lui, si de son contenu
Vous vouliez bien, monsieur, me faire confidence.

SENTINELLI.

Eh ! pourquoi donc la reine, en sa haute prudence,
De mon consentement tiendrait-elle à savoir
Ce que d’apprendre seule elle avait le pouvoir ?
Cette lettre par elle avait été surprise :
Il lui fallait l’ouvrir.

CHRISTINE.

Il lui fallait l’ouvrir. Vous m’aviez mal comprise,
Monsieur, si vous pensiez que mes yeux indiscrets
Sous le cachet sacré poursuivaient vos secrets.
Vainement mon regard avec quelques alarmes
Du traître La Gardie a reconnu les armes :
Vainement mon esprit se dit, non sans raison,
Que celle seule lettre est une trahison :
C’était par vous, dussé-je en attendre ma perte,
Que j’avais décidé qu’elle serait ouverte.
Ouvrez-la donc, monsieur, et lisez à loisir ;
Puis, en nous la passant, vous nous ferez plaisir.

SENTINELLI.

En effet, elle annonce une étrange nouvelle ;
Vous ne vous trompiez pas, madame ; on y révèle
Un complot contre vous ; — mais votre jugement
Au nom de son auteur s’est mépris seulement.
Lisez.

CHRISTINE.

Lisez. Monaldeschi !… — N’est-ce point une ruse
Que, pour perdre un rival…

SENTINELLI.

Que, pour perdre un rival… Lisez ; — lui seul s’accuse :
Au comte La Gardie.

CHRISTINE.

« Monsieur le Comte,

D’impérieux motifs me forcent à quitter le service de la reine Christine, et à me retirer en Suède sous la