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À d’injustes soupçons d’abandonner votre âme !
Les bienfaits dont nous a comblés votre bonté
Doivent vous garantir notre fidélité.

MONALDESCHI, entrant avec Steinberg et Paula.

Notre fidélité !… sans doute que la reine
Ne la soupçonne pas ?…

CHRISTINE.

Ne la soupçonne pas ?… Non, mais je suis en peine
De comprendre comment des pensers, des secrets,
Que je n’ai confiés qu’à des amis discrets,
Qui devraient en sentir le poids et l’importance,
D’un vol aussi léger franchissant la distance,
Peuvent, d’un bout du monde à l’autre parvenus,
Dans leurs moindres détails être sitôt connus.

MONALDESCHI, regardant Paula.

Ah !…

CHRISTINE.

Ah !… D’une trahison que pourtant je soupçonne,
J’ignore encor l’auteur et n’accuse personne.

MONALDESCHI, à Paula.

La Gardie a parlé.

CHRISTINE, continuant.

La Gardie a parlé. Mais il m’est bien permis
De croire qu’elle part de l’un de mes amis.
Vous êtes mes amis.

STEINBERG, montrant Ebba.

Vous êtes mes amis. Vous n’avez pu, je pense,
De ma femme un instant soupçonner l’innocence ;
Pour moi, ce crime affreux me fût-il imputé,
Je me crois trop connu de Votre Majesté…

MONALDESCHI.

Avec cet accent vrai l’innocence s’exprime.
Non, l’on ne vous croit pas coupable d’un tel crime ;
Et peut-être pourrais-je, en ce doute pressant,
Guider la reine… — mais, accuser un absent…

CHRISTINE.

Un absent, dites-vous ; marquis, c’est un prodige,
Comme le dévoûment à coup sûr nous dirige !
Sur le coupable aussi j’ai bien quelque soupçon ;
Sentinelli…

MONALDESCHI, vivement.

Sentinelli… C’est vous qui prononcez son nom,
Madame ; entre nous seuls il faut chercher le traître ;
Je m’en remets au temps de le faire connaître ;
Mais, une fois connu, que Votre Majesté,
Loin d’elle repoussant tout conseil de bonté,
Ne pardonne jamais cette sanglante injure ;
C’est ce dont à ses pieds ici je la conjure.

CHRISTINE.

Que vous partagez bien l’outrage qu’on me fait,
Marquis ! — Qu’a mérité l’auteur d’un tel forfait ?

MONALDESCHI, hésitant.

Il mérite…

CHRISTINE.

Il mérite… Parlez plus haut.

MONALDESCHI.

Il mérite… Parlez plus haut. Le misérable,
De haute trahison envers son roi coupable,
Quoiqu’un jeu du hasard ait trompé son effort,
Sans pitié ni pardon a mérité la mort.

CHRISTINE.

La mort !… Mais eu ces lieux votre reine outragée,
Sans juge et sans bourreau peut-elle être vengée ?
Et, servant mon pouvoir en vain évanoui,
Si je le condamnais, le frapperiez-vous ?…

MONALDESCHI.

Si je le condamnais, le frapperiez-vous ?… Oui.
Si par Sentinelli la mort est méritée,
J’offre d’exécuter la sentence portée.
Si je suis criminel, par un juste retour,
Pour juge et pour bourreau je l’accepte à mon tour.

CHRISTINE.

Eh bien !… puisque vous-même avez porté la peine,
Je vous engage ici ma parole de reine
Que le coupable, atteint de haute trahison,
Doit n’attendre de moi ni pitié ni pardon. —
Laissez-moi.

(Elle entre dans la chambre où est caché Sentinelli.)
PAULA.

Partirons-nous, marquis ?

MONALDESCHI.

Partirons-nous, marquis ? Oui, mais pars la première,
Prends un cheval et va m’attendre à la clairière.
Je vais seller le mien moi-même, et je reviens
Prendre quelques papiers, de l’or. — Tu te souviens ?
À la clairière, au bout du parc.

(Il sort avec Paula.)
CHRISTINE, entrant avec Sentinelli.

À la clairière, au bout du parc. — Je vous le livre !…
Que dans une heure au plus il ait cessé de vivre…

(Elle sort.)

Scène V.

SENTINELLI, CLAUTER, LANDINI.
SENTINELLI, appelant les deux soldats qui montent la garde à la porte.

Or çà, venez ici, mes braves. À défaut
D’exécuteur légal et d’un bon échafaud.
Pour seconder la mienne on cherche deux épées,
Dont les lames d’acier habilement trempées
S’adaptent au besoin à deux bras vigoureux.

(Frappant sur le fourreau de leurs épées.)

Pour les rencontrer là, serai-je assez heureux ?
Voyons, répondez-moi…

CLAUTER.

Voyons, répondez-moi… C’est selon, capitaine.
Dans quelle intention ?

SENTINELLI.

Dans quelle intention ? Voici le fait : — la reine
A cru parmi ses gens découvrir aujourd’hui
Un traître… et sans procès veut finir avec lui.
C’est moi qu’elle a chargé de terminer la chose.

LANDINI.

C’est un assassinat… alors qu’on nous propose !

CLAUTER.

Diable ! un assassinat !…

SENTINELLI.

Diable ! un assassinat !… Oh ! non, certainement :