Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Écrasé sous le poids de son propre anathème,
Méprisable pour tous, et surtout pour lui-même ;
Car, excepté lui seul, nul ne saura jamais,
Avant sa trahison, à quel point je l’aimais.
Maintenant le voilà suppliant et coupable !
À défaut de remords, l’épouvante l’accable.
Entre vos saintes mains je le remets… Adieu.
Préparez-le, mon père, à répondre à son Dieu.

MONALDESCHI.

Oh ! je n’ai plus d’espoir que dans votre clémence ;
Comme votre pouvoir, madame, elle est immense.
Eh bien ! oui, je l’avoue. Oui, je fus égaré ;
Par un doute cruel constamment dévoré,
J’ai, devant ce complot, senti faiblir mon âme.
Malgré mon dévoûment, je prévoyais, madame,
Combien ce grand complot ramenant de malheurs
Pourrait faire verser et de sang et de pleurs ;
Et devant Dieu les pleurs et le sang d’un seul homme
Sont précieux, madame, à l’égal d’un royaume !…
Et moi, j’ai cru devoir alors comme chrétien,
Pour le bonheur de tous sacrifier le mien.
Jugez-moi maintenant.

CHRISTINE.

Jugez-moi maintenant. Vous avez l’âme grande,
Marquis ! cela me touche… Il faut que je vous rende
Quelque tranquillité pour vos derniers moments.
Nul sang ne coulera dans ces grands changements ;
Charles-Gustave, aux coups de la fortune en butte,
Ne meurt pas d’un complot tramé, mais d’une chute.
Le trône où je remonte est pur de sang versé :
C’est pourquoi La Gardie…

MONALDESCHI.

C’est pourquoi La Gardie… Oh ! je suis insensé !…
Je suis un malheureux qui tremblant vous conjure,
En voyant ses remords, d’oublier son injure.
Commandez des tourments, je suis prêt à souffrir ;
Mais je ne suis pas préparé pour mourir.

CHRISTINE.

Comme je le devais, vous le voyez, mon père,
Je viens de l’écouter sans haine et sans colère.
Pour la seconde fois je le condamne !… Adieu. —
Préparez-le, mon père, à répondre à son Dieu.
Avez-vous tout dit ? —

MONALDESCHI.

Avez-vous tout dit ? — Non, madame : oh ! pas encore !
C’est pour vous maintenant que ma voix vous implore.
Vous voulez remonter au trône !… mais du sang
En rendra sous vos pieds le chemin plus glissant.
On dira, vous voyant assise sur ce trône.
Qu’une tache de sang rouille votre couronne.
Et puis pour vous aussi le jour se lèvera
Où, comme vous jugez, le Seigneur jugera.
Quand aux portes du ciel, par votre ange entr’ouvertes,
Vous vous présenterez les mains de sang couvertes,
Que direz-vous à Dieu, reine ?

CHRISTINE.

Que direz-vous à Dieu, reine ? Je lui dirai :
J’ai défendu des rois le principe sacré ;
Mon père, un homme fut ; cet homme était perfide ;
Sa seule trahison m’a rendue homicide.
Dans mes royales mains j’ai pesé son forfait, —
Et j’ai jugé, mon Dieu, comme vous l’eussiez fait.
— Voilà tout.

MONALDESCHI.

— Voilà tout. Je le vois avec douleur, votre âme
De reine est inflexible !.. Oh ! celle de la femme
Le sera-t-elle aussi ? Je veux à vos genoux
Rappeler ces moments…

CHRISTINE, vivement à Lebel.

Rappeler ces moments… Mon père, éloignez-vous !

MONALDESCHI.

Ces moments où, pour moi quittant le diadème,
Vous redeveniez femme, et me disiez : Je t’aime.
À vos genoux alors j’étais comme à présent,
Non pas pour implorer la vie en gémissant,
Mais pour prendre en mes mains cette main que je touche,
La poser sur mon cœur, la presser sur ma bouche,
Vous dire un mot d’amour auquel vous répondiez…

CHRISTINE.

Marquis !

MONALDESCHI.

Marquis ! Oh ! regardez… à genoux, — à vos pieds,
Je suis comme autrefois, oubliant qu’à cette heure
Votre royale voix dit qu’il faut que je meure ;
Et ne me rappelant ce que dit votre voix
Que pour me souvenir des accents d’autrefois.
Sur mon front incliné jetez donc l’anathème !
Je veux le repousser avec un mot : Je t’aime,
Je t’aime !… frappe-moi… Je t’aime… tiens ! voilà
Mon poignard… Entends-tu ? je t’aime… Frappe là !
C’est mon cœur… frappe donc, et venge-toi toi-même…
Ou je vais te redire encore que je l’aime !

CHRISTINE.

Laissez-moi… laissez-moi. — Mon père !

MONALDESCHI.

Laissez-moi… laissez-moi. — Mon père ! Oh ! calmez-vous.
Est-ce la seule fois qu’apaisant ton courroux,
Me voyant à tes pieds, ta rigueur qui se lasse
Permet que près de toi je reprenne ma place ?…
Tu le sais, que jamais un autre sentiment
Ne fit battre ce cœur qui t’aima constamment !
Regarde-moi… L’on dit, par une pure flamme,
Que toujours dans nos yeux se reflète notre âme :
Tourne donc vers les miens tes regards soucieux,
Car je n’ai pas besoin de te cacher mes yeux !…

CHRISTINE.

Oh ! que c’est de mon cœur une indigne faiblesse !
Je voudrais résister, et pourtant je me laisse
Entraîner malgré moi… — Je change votre sort ;
Qu’un exil éternel…

MONALDESCHI.

Qu’un exil éternel… Oh ! j’aime mieux la mort !
Et si c’est à ce prix que Christine pardonne,
Je refuse à mon tour les jours qu’elle me donne.
Ne te revoir jamais ! — non, j’aime mieux souffrir
Un instant que toujours… Je suis prêt à mourir.

CHRISTINE.

Eh bien ! Monaldeschi, le jour encor peut naître
Où votre repentir me touchera peut-être.
Espérez… Sur le trône où m’appellent mes droits,
Si je reviens m’asseoir reine au milieu des rois,
Parmi ces courtisans empressés sur ma trace,
Mon œil avidement cherchera votre place,