Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
RICHARD DARLINGTON.

ROBERTSON.

Si loin que ce village soit de Londres, il se peut que le docteur y ait été et m’y ait vu.

CAROLINE.

Tu étais donc bien connu à Londres ?

ROBERTSON.

Oui !… Parlons d’autre chose.

CAROLINE.

Parlons de mon père.


ROBERTSON, frappant du pied.

Ton père !

CAROLINE.

Tu le juges mal.

ROBERTSON.

Comme tous les hommes.

CAROLINE.

Il m’aime.

ROBERTSON.

Moins que son nom.

CAROLINE.

Si tu m’avais laissé tout lui dire ?

ROBERTSON.

Il t’eût défendu de me voir.

CAROLINE.

Pourquoi ?

ROBERTSON.

Il est noble, et moi du peuple.

CAROLINE.

Mais lorsqu’il aurait su…

ROBERTSON.

Quoi ?

CAROLINE.

Que tu m’avais sauvé la vie !

ROBERTSON.

Qu’est-ce cela ?

CAROLINE.

Au risque de la tienne, enfin.

ROBERTSON.

Chaque batelier de la Tamise en fait tous les jours autant : vont-ils demander en mariage les jeunes filles qu’ils tirent de l’eau ?

CAROLINE.

Mais tu n’es pas un batelier, toi ?

ROBERTSON.

Plût au ciel que je le fusse !

CAROLINE.

Oh ! il eût été attendri.

ROBERTSON.

Oui ; et dans son attendrissement, il m’eût fait jeter une bourse par ses valets. Si je ne suis pas noble, je suis riche du moins, et je n’ai pas besoin de son or.

CAROLINE.

Oh ! Robertson, Robertson… je souffre !

ROBERTSON.

Docteur !

LE DOCTEUR, rentrant, et allant dans sa chambre.

À l’instant !

CAROLINE.

Et si mon père nous poursuit ?

ROBERTSON.

Voilà ce qui me damne !

CAROLINE.

Oh ! si je le revoyais avant d’être ta femme… Robertson, j’en mourrais de honte.

ROBERTSON.

Ah ! vous voilà, docteur.

LE DOCTEUR, rentrant.

Tout est prêt.

(Caroline retient Robertson par les mains.)
ROBERTSON.

Écoute, chère amie, il faut que je fasse cacher la voiture, dételer les chevaux ; si par hasard ton père suivait la même route que nous, cet équipage pourrait nous trahir… Écoute ! — (Une voiture passe ventre à terre, Robertson court à la porte.) On ne voit rien, tant est noire cette nuit d’enfer… Je reviens à l’instant ; du courage, ma Caroline, je reviens à l’instant.

CAROLINE.

Oh ! reviens, reviens vite, je mourrai si tu n’es pas là.

(Elle entre dans la chambre, Robertson sort par la porte extérieure ; mistress Grey reste seule en scène.)
ANNA.

C’est quelque grand seigneur… est-ce qu’il gardera toujours son masque ? il a l’air de bien aimer sa femme. Pauvre petite, puisse-t-elle, plus heureuse que moi, conserver l’enfant que Dieu lui aura donné, elle ne connaîtra pas une des plus grandes douleurs de ce monde !

ROBERTSON, rentrant.

Mistress, comment vous nommez-vous, s’il vous plaît, mistress ?

ANNA.

Anna Grey.

ROBERTSON.

Mistress Grey, à peine ai-je eu le temps de parler à votre mari ; j’allais le faire, quand l’état de ma femme a réclamé ses soins : mais comme lui, mistress, vous avez une figure qui commande la confiance, et je vais mettre en vous une partie de la mienne.

ANNA.

Parlez, monsieur.

ROBERTSON.

Des motifs qui pour vous n’ont aucun intérêt me forcent à tenir mon visage caché ; ne vous inquiétez donc pas de ce masque ; il couvre la figure d’un honnête homme.