Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/293

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JENNY, entrant.

Mon père, votre journal.

LE DOCTEUR.

Ah ! donne.

JENNY.

Bonjour, maman. — (Elle la baise au front.) — Que fais-tu là ?

MISTRESS GREY.

Tu vois, des manchettes pour ton père.

JENNY.

Elles ne sont pas si jolies que les miennes.

MISTRESS GREY.

Tu en fais aussi ?

JENNY.

Oui, pour Richard ; il ne faut pas le lui dire, maman ; je veux lui faire une surprise.

LE DOCTEUR, lisant.

Je suis à vous, Mawbray.

JENNY, allant à Richard.

Bonjour, Richard, bonjour.

RICHARD.

Ah ! c’est toi, ma sœur, bonjour.

LE DOCTEUR.

Par saint Georges ! encore un !

RICHARD.

Qu’avez-vous, mon père ?

LE DOCTEUR.

Le parti de l’opposition a succombé dans le Westmoreland !

RICHARD.

Comment ! les élections sont déjà terminées ? et qui a été nommé ?

LE DOCTEUR.

Lord Stapford.

RICHARD.

Imbéciles ! un noble pour représenter les droits du peuple ! Je crois, Dieu me damne, que si les moutons votaient ils nommeraient le boucher !

LE DOCTEUR.

C’est à notre tour après-demain.

RICHARD.

Il n’en sera pas ainsi, je l’espère ; lord pour lord, peuple pour peuple, Dieu pour tous, et les droits de chacun seront maintenus.

MAWBRAY.

La réunion préparatoire des électeurs va avoir lieu ; croyez-vous, docteur, que j’y puisse assister ?

LE DOCTEUR.

Pourquoi non ?

MAWBRAY.

Étranger à cette contrée, où depuis dix ans seulement je suis venu chercher un port après une longue absence de l’Angleterre, je n’ai aucun droit politique.

LE DOCTEUR.

À cette assemblée on ne fait que discuter, on ne vote pas.

MAWBRAY.

Mais je tremble toujours qu’on ne me demande sur ma vie passée des détails que des malheurs, qui ne me sont pas tout personnels, m’ont empêché de confier même à vous.

LE DOCTEUR.

Et dont je ne vous ai jamais demandé compte, Mawbray, vous me rendrez cette justice. Une vie simple, des mœurs douces, votre affection presque paternelle pour nos enfants, voilà qui vous a fait notre ami. — (Mawbray veut répliquer ; le docteur avec amitié.) N’en parlons plus. — (À Richard.) Viens-tu avec nous ?

RICHARD.

Sans doute.

LE DOCTEUR.

Et à qui donneras-tu ta voix ?

RICHARD.

À moi, mon père, et je vous demande la vôtre et celles de vos amis.

MAWBRAY et LE DOCTEUR.

À toi !

JENNY.

Richard, député !

RICHARD.

Pourquoi pas ?

LE DOCTEUR.

Et depuis quand as-tu eu cette idée ?

RICHARD.

Depuis que je pense.

LE DOCTEUR.

Et tes espérances datent…

RICHARD.

D’hier.

LE DOCTEUR.

Elles reposent…

RICHARD.

Sur cette lettre.

MAWBRAY.

Une lettre anonyme ?

RICHARD.

Lisez toujours.

LE DOCTEUR, lisant.

« Vous êtes jeune, ardent, ambitieux ; le comté nomme demain son mandataire, mettez-vous sur les rangs. Monsieur Grey et vous exercez une grande influence sur la bourgeoisie, j’en ai sur le peuple ; je vous promets cent voix, réunissez-en autant, et nous enlevons votre élection d’assaut. Je vous verrai demain. Vous saurez les motifs qui me font agir, je vous crois homme à les comprendre. »
Et tu crois à cette lettre ?