Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/294

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RICHARD.

Nul n’aurait intérêt à me tromper ; beaucoup peuvent désirer que je réussisse.

LE DOCTEUR.

Richard, tu es bien jeune !

RICHARD.

Pitt était ministre à vingt et un ans.

MAWBRAY.

Et quelle garantie offriras-tu aux électeurs ?

RICHARD.

Ma vie passée.

LE DOCTEUR.

Mais tu ne possèdes rien.

RICHARD.

Vous avez quelque fortune.

MISTRESS GREY.

Mais je croyais que le manufacturier Stilman se mettait sur les rangs ?

RICHARD.

Les électeurs craindront qu’il ne se vende pour une fourniture de laine.

LE DOCTEUR.

Le banquier Wilkie…

RICHARD.

Eh bien ?

LE DOCTEUR.

Il a la réputation…

RICHARD.

D’un sot.

LE DOCTEUR.

Et d’un homme incorruptible.

RICHARD.

Le comté voudra un représentant dont les discours soient cités dans les journaux.

JENNY.

Voyez, ma mère, il répond à tout.

MISTRESS GREY.

L’ambition a bien de la logique, ma fille.

MAWBRAY.

Et quels seront tes principes à la tribune ?

RICHARD.

Cette profession de foi les contient ; les circonstances les développeront.

MAWBRAY.

C’est cela que tu écrivais ?

RICHARD.

Oui.

LE DOCTEUR.

C’est un moyen bien usé.

RICHARD.

On le rajeunit par le style.

LE DOCTEUR.

La tribune a tant de fois démenti les promesses de l’élection !

RICHARD.

Les masses sont crédules.

MAWBRAY.

Et tu es décidé à t’exposer aux débats de la place publique, aux discours sur la borne, au boxing dans la rue ?

RICHARD.

J’ai la voix forte et le poignet ferme.

LE DOCTEUR.

Et sais-tu la langue qu’on doit parler au peuple ?

RICHARD.

Je parle toutes les langues, mon père.

LE DOCTEUR, prenant Mawbray à part.

N’est-ce pas le moment de lui apprendre qu’il n’est pas mon fils ?

MAWBRAY.

Il voudra savoir quel est son père, et, vous me l’avez dit, vous n’avez rien à lui apprendre sur ce point.

JENNY, allant à Richard.

Oh ! Richard, si les femmes votaient !

LE DOCTEUR.

Oui, oui, cela lui ôterait peut-être de son assurance, et je vous l’avoue, Mawbray, j’aime à le voir ainsi, ayant confiance enu sa force et la conscience de son mérite.

MAWBRAY.

Mon bon docteur !

LE DOCTEUR.

Mawbray, nous irons entendre son premier discours à la chambre. Eh bien ! Richard, soit, j’avais fait aussi ce rêve, mais je ne croyais pas qu’il dût sitôt s’accomplir.

MISTRESS GREY.

Monsieur Mawbray, vous ne quitterez pas mon mari ?

JENNY.

Ni Richard ?

MAWBRAY.

Soyez tranquilles ; j’assiste à cette assemblée en spectateur désintéressé, puisque, étranger à cette contrée, je n’y ai aucun droit politique.

RICHARD., regardant à sa montre.

Allons, allons ! partons, mon père ; c’est l’heure.

MISTRESS GREY.

Adieu donc, messieurs, ne tardez pas à rentrer.

JENNY.

Bonne chance, Richard. Adieu ! adieu !

(Richard, préoccupé, sort avec Mawbray et le docteur sans répondre à Jenny.)