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RICHARD.

Jeany, nous causons d’affaires politiques, cette conversation est peu attrayante pour vous, et peut-être devant vous ces messieurs ne s’exprimeraient-ils pas en toute liberté.

JENNY.

Je me retire, Richard ; soyez prudent.

RICHARD.

Oui, oui. — (Jenny sort.) Et moi, messieurs, dois-je seulement mon insuccès à l’ignorance où je suis de ma naissance ?

DEUXIÈME BOURGEOIS.

À ce seul motif : vous aviez pour vous les antagonistes de messieurs Stilman et Wilkie, et c’était la majorité. Les souscriptions pour les frais de l’élection se multipliaient d’instant en instant ; mais beaucoup ont dit : il est impossible d’élire un homme qui n’a pas de parents qui l’attachent au comté.

TOMPSON, à demi-voix.

On peut se marier et l’on a une famille.

(Richard regarde Tompson.)
PREMIER BOURGEOIS.

Encore, disait-on, s’il était propriétaire ?

TOMPSON, même jeu.

Si le beau-père a deux ou trois fermes ?

RICHARD., regarde Tompson avec pénétration, puis il se retourne.

Et voilà les seules raisons qui ont fait échouer mon élection ?

PREMIER BOURGEOIS.

Nous n’en connaissons pas d’autres.

RICHARD.

Si je levais ces objections ?

LES BOURGEOIS.

Le succès serait certain.

RICHARD.

Et alors je pourrai toujours compter sur vous ?

PREMIER BOURGEOIS.

Comme sur des amis.

RICHARD.

Eh bien ! messieurs, ce soir, j’espère avoir à vous annoncer quelque changement dans ma position. Voulez-vous prendre rendez-vous à la taverne des Armes du roi, à cinq heures ?

LES BOURGEOIS.

C’est dit.

RICHARD.

Recevez mes remercîments, messieurs. — (À Tompson.) Restez, il faut que je vous parle. Sans adieu, messieurs ; à cinq heures.


Scène V.

RICHARD, TOMPSON.
RICHARD.

Vous vous êtes donné beaucoup de peine pour mon élection, monsieur ?

TOMPSON.

Je vous ai eu cent voix.

RICHARD.

Et puis-je savoir ce qui a fait naître l’intérêt que je vous inspire ; car je n’ai point l’honneur de vous connaître ?

TOMPSON.

C’est moi qui vous ai écrit.

RICHARD.

Quel motif m’a valu l’honneur de votre lettre ?

TOMPSON.

Votre caractère.

RICHARD., souriant.

Lequel ?

TOMPSON.

D’ambitieux.

RICHARD.

Qui vous a dit que je l’étais ?

TOMPSON.

Moi qui le suis.

RICHARD.

Vous êtes franc.

TOMPSON.

Je suis concis.

RICHARD.

Et vous appuyez vos prétentions ?

TOMPSON.

Sur ma tête et mon bras, comme vous.

RICHARD.

Et qui êtes-vous ?

TOMPSON.

Rien, comme vous.

RICHARD.

Et comment croyez-vous avoir besoin de moi pour réussir ?

TOMPSON.

Ma position, quelques antécédents, m’ôtent l’espoir de parvenir seul. Je suis né trop près du peuple pour pouvoir exercer directement pour moi l’influence que j’ai sur lui. Je vous ai eu cent voix ; si je m’étais présenté, je n’aurais eu que la mienne.

RICHARD.

Ainsi vous voulez faire de moi un instrument.

TOMPSON.

Non, un patron : vous serez le vaisseau de guerre et moi la chaloupe qu’il remorque ; mais faites-y