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RICHARD.

Et je serai…

TOMPSON, ouvrant le cabinet.

Là.

RICHARD.

Sans qu’on le sache ?

TOMPSON.

Cela va sans dire.

RICHARD.

Pas mal. Et Da Sylva… ?

TOMPSON.

Va revenir.

RICHARD.

Il vient donc de vous quitter ?

TOMPSON.

Au moment où je vous ai fait remettre ce billet.

RICHARD.

Et surtout pas un mot qui puisse me compromettre : n’avancez rien en mon nom ; que je reste libre de tout refuser, tout démentir, tout nier.

(Richard se dirige vers le cabinet ; Tompson va ouvrir la porte pour appeler l’huissier : Mawbray se présente à lui.)
TOMPSON.

Assurément !… Monsieur Mawbray !

RICHARD, s’arrêtant.

Mawbray !


Scène V.

RICHARD, MAWBRAY, TOMPSON.
MAWBRAY.

Pourquoi donc ma présence a-t-elle l’air de t’embarrasser, Richard ?

RICHARD.

Vous vous trompez, monsieur Mawbray.

MAWBRAY.

J’aurais dû peut-être, pour l’entretenir du motif qui m’amène à Londres, t’attendre chez toi ; mais ayant appris que tu étais à la chambre, j’ai voulu l’entendre, je t’ai entendu.

RICHARD, se rapprochant de lui.

Eh bien !

MAWBRAY.

Sais-tu rien de plus beau qu’un député incorruptible, que l’élu de la nation, qui la défend comme un enfant sa mère, dont la voix est toujours prête à flétrir le pouvoir, si le pouvoir tente quelque chose contre ses intérêts et son honneur : qui use sa fortune privée pour la fortune de tous, et la session finie, sort pauvre et nu de la chambre comme un lutteur de l’arène ! Le peuple, Richard… le peuple n’a ni or ni emplois à donner, mais il dresse ses autels et il y place ses dieux.

RICHARD.

Cette gloire est belle, n’est-ce pas ?

MAWBRAY.

Cette gloire est la tienne ; celle que ton génie s’était promise, celle que je n’osais rêver pour toi, celle qui aujourd’hui aurait payé de son adoption le vertueux Grey, car il aurait pu dire en mourant : J’ai donné à mon pays un grand citoyen.

(Tandis que Richard écoute Mawbray avec attention et plaisir, Tompson s’approche et lui dit à mi-voix.)
TOMPSON.

On attend.

RICHARD.

Qu’on attende !

MAWBRAY.

Oui, Richard, au nom de tous ceux qui t’aiment, qui t’ont aimé, je le déclare : comme homme public, tu as dépassé toutes leurs espérances, mais tu les a trompées comme fils, comme époux.

RICHARD.

Comment ?

MAWBRAY.

Tu as oublié ces prières de ton père adoptif, de sa femme, quand ils t’ont donné leur fille ; quand ils t’ont dit : Rends notre Jenny heureuse !

RICHARD.

Ne faites point un crime à mon cœur du tort des circonstances.

MAWBRAY.

Nous ne sommes plus au temps où les talents dispensaient des vertus, et la gloire va bien avec la bonté.

RICHARD.

Il y a de l’amertume dans vos éloges.

MAWBRAY.

C’est que je viens te parler au nom d’une femme souffrante, d’une femme que tu as reléguée loin de toi, dans une obscure campagne ; qui depuis trois ans gémit de ton absence, sans autre consolateur qu’un vieillard qui pleure avec elle.

RICHARD.

Et pourquoi tant de larmes ?

MAWBRAY.

Parce qu’elle t’aime, parce que tu la dédaignes.

RICHARD.

Peut-elle le croire ?

MAWBRAY.

Elle le croit, et pourtant elle ignore un cruel affront.

RICHARD.

Que voulez-vous dire ?

MAWBRAY.

Chez toi, lorsque je me suis présenté, les domes-