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Depuis un an que je vis dans cette retraite, et que Mawbray remplace mes parents, nul ne sait que j’existe et j’y puis mourir, sûre que ma mort y sera aussi ignorée que mon existence. Oh ! mais c’est affreux de vivre ainsi ! Depuis que Mawbray est parti, il me semble que lui aussi ne reviendra plus. Il avait promis de m’écrire aussitôt son arrivée.

(Elle sonne ; une femme de chambre entre.)


Scène XII.

BETTY, JENNY.
JENNY.

Est-il arrivé une lettre pour moi ?

BETTY.

Non, madame.

JENNY.

S’il en arrivait une, vous la monteriez aussitôt. Écoutez donc.

BETTY.

Quoi ?

JENNY.

C’est le bruit…

BETTY, écoutant.

D’une voiture.

JENNY.

Une voiture, une voiture qui vient de ce côté… qui s’arrête… elle s’arrête ! Betty ?

BETTY.

C’est peut-être monsieur Mawbray qui revient.

JENNY.

Non, non, Mawbray serait revenu par le coach jusqu’au village, et du village ici à pied. Descendez, descendez. Oh ! sir Richard seul peut venir ici en voiture. Allez donc. Mes genoux tremblent, mon pauvre cœur… — (Elle s’assoit la tête dans ses mains.) Oh ! Je n’ose regarder, de peur de voir entrer une autre personne. Mais c’est insensé à moi de croire qu’il vient. Ce ne peut pas être lui ; il faut être folle pour espérer que c’est lui. On monte… c’est son pas… c’est mon Richard ! — (Elle jette ses bras autour du cou de Richard qui paraît.) Oh !


Scène XIII.

RICHARD, JENNY.
RICHARD.

Qu’avez-vous donc, Jenny ?

JENNY.

Ce que j’ai, il me demande ce que j’ai ! J’ai que je pleure, que je ne t’espérais jamais, que je t’attendais toujours, qu’il y a un an que je ne t’ai vu ! Comprends-tu ?… un an ! un an ! et que te voilà, toi, mon Richard. Ah ! voilà ce que j’ai.

RICHARD.

Jenny, remettez-vous.

JENNY.

Et moi qui t’accusais, qui pensais que tu m’avais oubliée ! j’étais injuste, pardonne ! Tu ne sais pas ?… comment oser te le dire maintenant ! à force de me voir pleurer, inquiète de voir que tu ne m’écrivais pas ; car, méchant, il y a trois mois que je n’ai reçu de tes nouvelles !… eh bien ! qu’est-ce que je disais ? j’ai la tête perdue ! embrasse-moi, embrasse-moi !

RICHARD.

Peut-être vouliez-vous me parler de Mawbray ?

JENNY.

Oh ! oui. Pardonne-moi, mais je l’ai envoyé à Londres.

RICHARD.

Je l’ai vu.

JENNY.

Et pourquoi n’est-il pas revenu avec toi ?

RICHARD.

Il était fatigué et ne pouvait partir que demain.

JENNY.

Et toi, quand tu as su mon inquiétude, demain t’a paru trop long, tu as pensé que tu ne pouvais trop tôt consoler la pauvre femme qui pleurait… Oh ! tu es toujours mon Richard, le Richard de mon cœur ! et tu l’as laissé ?

RICHARD.

Je voulais vous parler sans témoins.

JENNY.

Sans témoins ?

RICHARD.

Oui.

JENNY.

As-tu quelque secret à me dire ?

RICHARD.

J’ai un sacrifice à vous demander.

JENNY.

À moi, Richard ? Oh ! que je suis heureuse ! je vais donc faire quelque chose pour toi. Mon consentement te serait-il nécessaire pour vendre une de nos fermes, tu dois avoir besoin d’argent, ta position nécessite tant de dépenses !

RICHARD.

Ce n’est point cela.

JENNY.

Qu’est-ce donc ? mais asseyez-vous, mon ami.

RICHARD.

Ce n’est point la peine.