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madame, retirez-vous, et abandonnez-nous ce jeune homme.

MARGUERITE, se levant.

Te l’abandonner, Orsini ? non pas ; il est à moi. Va demander à mes sœurs si elles veulent t’abandonner les autres : si elles le veulent, c’est bien ; mais celui-là, il faut le sauver… Oh ! je le puis : car toute cette nuit je me suis contrainte ; toute cette nuit j’ai gardé mon masque ; il ne m’a donc pas vue, Orsini, ce noble jeune homme : mon visage est resté voilé pour lui : il me verrait demain qu’il ne pourrait me reconnaître. Eh bien ! je lui sauve la vie ; je veux que cela soit ainsi. Je le renvoie sain et sauf ; qu’il soit reconduit dans la ville ; qu’il vive pour se rappeler cette nuit, pour qu’elle brûle le reste de sa vie de souvenirs d’amour ; pour qu’elle soit un de ces rêves célestes qu’on a une fois sur la terre ; pour qu’elle soit pour lui enfin ce qu’elle sera pour moi.

ORSINI.

Ce sera comme vous voudrez, madame.

MARGUERITE.

Oui, oui, sauve-le ; voilà ce que j’avais à te dire, ce que j’hésitais à te dire. Maintenant que je te l’ai dit, fais ouvrir la porte ; fais rentrer les poignards dans le fourreau : hâte-toi, hâte-toi !

(Orsini sort.)



Scène VIII.


MARGUERITE, puis PHILIPPE.
PHILIPPE, dans la coulisse.

Mais où es-tu donc, ma vie ? — où es-tu donc, mon amour ? — Ton nom de femme ou d’ange, que je t’appelle par ton nom ?

(Il entre.)
MARGUERITE.

Jeune homme, voici le jour.

PHILIPPE.

Que me fait le jour, que me fait la nuit ? — Il n’y a ni jour ni nuit… Il y a des flambeaux qui brûlent, des vins qui pétillent, des cœurs qui battent, et le temps qui passe… Reviens.

MARGUERITE.

Non, non, il faut nous séparer.

PHILIPPE.

Nous séparer !… et qui sait si je vous retrouverai jamais ? Il n’est pas temps de nous séparer encore. Je suis à vous comme vous êtes à moi ; séparer les anneaux de cette chaîne, c’est la briser.

MARGUERITE.

Ah ! vous aviez promis plus de modération… Le temps fuit ; mon époux peut se réveiller, me chercher, venir… Voici le jour.

PHILIPPE.

Non, non, ce n’est pas le jour ; c’est la lune qui glisse entre deux nuages chassés par le vent. Votre vieil époux ne saurait venir encore… La vieillesse est confiante et dormeuse. Encore une heure, ma belle maîtresse ; une heure, et puis adieu…

MARGUERITE.

Non, non, pas une heure, pas un instant, partez ! c’est moi qui vous en prie… Partez sans regarder en arrière, sans vous souvenir de cette nuit d’amour, sans en parler à personne, sans en dire un mot à votre meilleur ami… Partes ! quittez Paris, je vous l’ordonne, partez !

PHILIPPE.

Eh bien ! oui, je pars… mais ton nom ?… Dis-moi ton nom ! qu’il bruisse éternellement à mon oreille, qu’il se grave à jamais dans mon cœur… Ton nom ! pour que je le redise dans mes rêves. Je devine que tu es belle, que tu es noble : tes couleurs, que je les porte ; je t’ai trouvée parce que tu l’as voulu ; mais depuis longtemps je te cherchais. Ton nom dans un dernier baiser, et je pars.

MARGUERITE.

Je n’ai pas de nom pour vous ! Cette nuit passée, tout est fini entre vous et moi ; je suis libre, et je vous rends libre. Nous sommes quittes des heures écoulées pendant que nous étions ensemble. Je ne dois rien à vous, et vous rien à moi… Obéissez-moi donc si vous m’aimez… Obéissez-moi encore si vous ne m’aimez pas ; car je suis femme, je suis chez moi, je commande. Notre partie nocturne est rompue, je ne vous connais plus… sortez !

PHILIPPE.

Ah ! c’est ainsi… j’adjure et l’on me raille ; je supplie et l’on me chasse… eh bien, je sors ! Adieu, noble et honnête dame, qui donnez des rendez-vous la nuit, à qui l’ombre de la nuit ne suffit pas et qui avez besoin d’un masque ; mais ce n’est pas moi dont on peut se faire un jouet pour une passion d’une heure ; il ne sera pas dit que, moi parti, vous rirez de la dupe que vous venez de faire.

MARGUERITE.

Que voulez-vous ?

PHILIPPE, arrachant une épingle de la coiffe de Marguerite.

Ne craignez pas, madame, ce sera moins que rien… un simple signe auquel je puisse vous reconnaître. — (Il la marque au visage à travers son masque.) Voilà tout.

MARGUERITE.

Ah !

PHILIPPE, riant.

Maintenant dis-moi ton nom ou ne me le dis pas ;