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si vous avez aujourd’hui quelque grâce à demander à la régente, hâtez-vous, car je n’ai plus qu’un jour de puissance.

SAVOISY.

Nous ne vous presserons pas, madame : vous serez notre reine toujours, reine par le sang, reine par la beauté ; et vous serez toujours véritablement régente en France, tant que notre roi, que Dieu garde ! conservera des yeux et un cœur.

MARGUERITE.

Vous me flattez, comte. Bonjour, seigneur Gaultier ; vous deviez m’amener votre frère ?

GAULTIER.

Et vous me voyez bien inquiet de lui, madame, Oh ! la maudite ville de Paris ! elle est pleine de Bohémiens et sorciers… Ne haussez pas les épaules, monsieur de Marigny, je ne vous accuse pas ; la ville, grandissant tous les jours ainsi qu’elle fait, échappe à votre puissance. Ce matin encore on a retrouvé sur la grève, un peu au-dessous de la tour de Nesle, un cadavre.

MARIGNY.

Deux, monsieur.

MARGUERITE, à part.

Deux !

GAULTIER.

Et qui voulez-vous qui fasse ces meurtres, sinon Bohémiens et sorciers, qui ont besoin de sang pour leurs corporations ? Croyez-vous qu’on force la nature à révéler ses secrets sans d’horribles profanations ?

MARGUERITE.

Vous oubliez, messire Gaultier, que monsieur de Marigny ne croit pas à la nécromancie.

SAVOISY, à la fenêtre.

Il n’y croit pas ? Eh ! madame, on n’a qu’à jeter les yeux dans la rue, on n’y voit que nécromanciens et sorciers ; en face même de votre palais, en voici un qui semble attendre qu’on le consulte, tant il fixe les yeux avec acharnement sur cette fenêtre.

MARGUERITE.

Appelez-le, seigneur de Savoisy ; je ne serais pas fâchée qu’il nous annonçât ce qui arrivera à monsieur de Marigny au retour du roi ; voulez-vous, messieurs ?

PIERREFONDS.

Notre reine est maîtresse.

SAVOISY, criant à la fenêtre.

Monte ici, Bohémien, et fais provision de bonnes nouvelles ; c’est une reine qui veut savoir l’avenir.

MARGUERITE.

Allons, messieurs, il faut recevoir dignement ce savant nécromancien.

SAVOISY.

Oui, sans doute, mais comme sa science peut lui venir également de Dieu ou de Satan, à tout hasard signons-nous. – (Ils font tous le signe de la croix, à l’exception de Marigny.) Le voici ; pardieu ! il a passé à travers les murs. – (Allant à lui.) Bohémien maudit, la reine t’a fait venir pour que tu dises au premier ministre…

LE BOHÉMIEN, entrant par la porte de droite.

Laisse-moi donc aller à lui, si tu veux que je lui parle. Enguerrand de Marigny, me voilà.

MARIGNY.

Écoute, sorcier, si tu veux être le bien venu ici, annonce-moi plutôt mille disgrâces qu’une disgrâce, mille morts qu’une mort, et je puis ajouter encore qu’autant tes prédictions trouveront les autres confiants et joyeux, autant elles me trouveront tranquille et incrédule.

LE BOHÉMIEN.

Enguerrand, je n’ai qu’une disgrâce et une mort à t’annoncer, mais une disgrâce prochaine et une mort terrible. Si tu as quelque compte à régler avec Dieu, hâte-toi, car par ma voix il ne te donne que trois jours.

MARIGNY.

Merci, Bohémien ; car chacun de nous ne sait pas même s’il a trois heures ; d’autres t’attendent… merci

LE BOHÉMIEN.

Que veux-tu que je te dise, à toi, Gaultier d’Aulnay ? à ton âge le passé c’est hier, l’avenir c’est demain.

GAULTIER.

Eh bien ! parle-moi du présent.

LE BOHÉMIEN.

Enfant, demande-moi plutôt le passé, demande-moi plutôt l’avenir ; mais le présent, non, non !

GAULTIER.

Sorcier, je veux le savoir. Que se passe-t-il maintenant en moi ?

LE BOHÉMIEN.

Tu attends ton frère, et ton frère ne vient pas.

GAULTIER.

Et mon frère ! où est-il ?

LE BOHÉMIEN.

Le peuple se presse en foule sur le rivage de la Seine.

GAULTIER.

Mon frère !

LE BOHÉMIEN.

Il entoure deux cadavres en criant : Malheur !

GAULTIER.

Mon frère !

LE BOHÉMIEN.

Descends, et cours à la grève.

GAULTIER.

Mon frère !