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SAINT-MÉGRIN.

À dix heures.

RUGGIERI.

Ce n’est pas cela. Si demain à dix heures tu vois encore la lumière du ciel, compte alors sur des jours longs et heureux. Vois-tu cette étoile ?

SAINT-MÉGRIN.

Qui brille près d’une autre plus brillante encore ?

RUGGIERI.

Oui, et à l’occident, distingues-tu ce nuage sombre qui n’est encore qu’un point dans l’immensité ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui, hé bien ?…

RUGGIERI.

Hé bien ! dans une heure, cette étoile aura disparu sous ce nuage, et cette étoile, c’est la tienne.

(Il sort.)



Scène IV.


SAINT-MÉGRIN, puis JOYEUSE.
SAINT-MÉGRIN.

Cette étoile, c’est la mienne ! Ruggieri, arrête ! Il ne m’entend pas ; il entre chez la reine-mère. Cette étoile, c’est la mienne ; et ce nuage !… Vive Dieu ! je suis bien insensé de croire aux paroles de ce visionnaire… Ces signes ne l’ont jamais trompé, dit-il ! Dugast ! Dugast ! et toi aussi, tu volais comme moi à un rendez-vous d’amour, lorsque tu es tombé assassiné ; et ton sang, en sortant de tes vingt-deux blessures, bouillait encore d’espérance et de bonheur. Ah ! si je dois mourir aussi, mon Dieu ! mon Dieu ! que je ne meure du moins qu’au retour !
xxxx(Entre Joyeuse.)

JOYEUSE.

Eh bien ! que fais-tu là ? Est-ce que tu lis dans les astres, toi ?

SAINT-MÉGRIN.

Moi ! non.

JOYEUSE.

Je t’avais pris en entrant pour un astrologue. Quoi ! encore ? mais, qu’as-tu donc ?

SAINT-MÉGRIN.

Rien, rien ; je regarde le ciel.

JOYEUSE.

est superbe ! les étoiles étincellent.

SAINT-MÉGRIN, avec mélancolie.

Joyeuse, crois-tu qu’après notre mort notre âme doive habiter un de ces globes brillants sur lesquels notre vue s’est arrêtée tant de fois pendant notre vie ?

JOYEUSE.

Ces pensées ne me sont jamais venues, sur mon âme ; elles sont trop tristes… Tu connais ma devise : hilariter, joyeusement… voilà pour ce monde… quant à l’autre, peu m’importe ce qu’il sera, pourvu que je m’y trouve bien.

SAINT-MÉGRIN, sans l’écouter.

Crois-tu que là nous serons réunis aux personnes que nous avons aimées ici-bas ?… Dis ; … crois-tu que l’éternité puisse être le bonheur ?…

JOYEUSE.

Vrai Dieu ! tu deviens fou, Saint-Mégrin ; quel diable de langage me parles-tu là ? Arrange-toi de manière à ce que demain, à pareille heure, M. de Guise puisse t’en donner des nouvelles sûres, et ne me demande pas cela à moi. J’ai déjà le cou tout disloqué d’avoir regardé en l’air.

SAINT-MÉGRIN.

Tu as raison… oui… oui… je suis un insensé…

JOYEUSE.

Voilà le roi… Voyons… Éloigne cet air soucieux. On dirait, sur mon âme, que ce duel t’inquiète. Est-ce que tu serais fâché ?…

SAINT-MÉGRIN.

Moi, fâché !… Vrai Dieu ! s’il me tue, Joyeuse, ce ne sera pas ma vie que je regretterai, ce sera de lui laisser la sienne.


Scène V.


Les précédents ; HENRI, D’ÉPERNON, SAINT-LUC, BUSSY, DU HALDE, plusieurs pages et seigneurs, puis CATHERINE DE MÉDICIS.
HENRI.

Soyez tranquilles, messieurs, soyez tranquilles : toutes nos mesures sont prises. Seigneur de Bussy, nous vous rendons notre amitié, en récompense de la manière dont vous avez secondé notre brave sujet, le comte de Saint-Mégrin.

BUSSY D’AMBOISE.

Sire !

HENRI, à Saint-Mégrin.

Te voilà, mon digne ami ; pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? Cimier, faites apporter un fauteuil près notre trône : ma mère assistera à la séance ; prévenez-la qu’elle va s’ouvrir. Ah ! auparavant, sur la première marche, placez un tabouret pour M. le comte de Saint-Mégrin. — (À Saint-Mégrin.) J’ai à te parler… Par la mort Dieu ! nous voilà tous rassemblés, messieurs ; il ne nous manque plus que notre beau cousin de Guise…

CATHERINE, entrant.

Il ne se fera pas attendre, mon fils ; j’ai aperçu ses pages dans l’antichambre.