Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/651

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JOHN, prenant le verre.

Avez-vous demandé du meilleur, au moins ?

(Il avale le champagne et repose le verre sur la table ;
Kean le regarde faire.)
KEAN.

À moins que vous n’ayez l’espoir d’appareiller l’autre œil avec celui-là ; ce qui n’est pas difficile, en vous y prenant comme vous faites.

JOHN.

Ah ! vous croyez !

KEAN, versant une seconde fois à boire.

J’en suis sûr.

JOHN.

En donnant du retour, hein ?

KEAN.

Gratis.

JOHN, prenant le verre, et buvant.

À la santé du marchand !

KEAN, ôtant son habit.

Merci, l’ami.

JOHN.

Ah ! il parait que vous tenez l’article.

KEAN, ôtant sa veste.

Oui, et je me charge de la fourniture.

JOHN, riant.

Ah ! ah ! ah !

TOUS

Bravo ! bravo !

PETER, rentrant, à John.

Eh bien ! que fais-tu donc, John ?

JOHN.

Tu le vois bien, je m’apprête.

PETER, à Kean.

Que fait Votre Honneur ?

KEAN.

Tu le vois bien, je me prépare.

PETER, à John.

Mais tu ne sais pas à qui tu as affaire.

JOHN.

Qu’est-ce que ça me fait ?

PETER.

Monsieur le constable !

LE CONSTABLE, monté sur une chaise pour mieux voir.

Laisse-moi donc regarder, imbécile.

PETER.

Allons, allons, battez-vous si ça vous fait plaisir.

(Il sort.)
(Morceau d’ensemble pendant lequel Kean et John boxent, et à la fin duquel John reçoit un coup de poing sur l’autre œil ; il tombe dans les bras de ses amis qui l’entourent ; Kean remet sa veste, et va se rasseoir à sa table.)
KEAN.

Peter !

PETER.

Voilà.

KEAN.

Un autre verre.

PETER.

Il parait que c’est fini. (Il va voir dans la chambre à côté.) Ça n’a pas été long.

LE CONSTABLE, descendant de sa chaise, et allant à la table de Kean.

Voulez-vous me permettre de vous offrir mes compliments, monsieur le marin ?

KEAN.

Voulez-vous me permettre de vous offrir un verre de ce vin de Champagne, monsieur le constable ?

(Peter apporte des verres ; Kean verse.)
LE CONSTABLE, prenant le sien.

Vous avez donné là un triomphant coup de poing, jeune homme.

KEAN.

Vous me flattez, monsieur ; c’est un coup de poing de troisième ordre, pauvre et mesquin ; si j’avais serré le coude au corps et dégagé le bras du bas en haut, le drôle aurait certainement eu la tête fendue.

LE CONSTABLE, reposant son verre.

C’est un petit malheur, monsieur le marin, espérons qu’une autre fois vous serez plus heureux.

KEAN.

Je n’ai fait que ce que j’avais voulu faire : je lui ai promis le pareil de celui qu’il avait déjà reçu, je le lui ai donné.

LE CONSTABLE.

Oh ! religieusement, il n’a rien à dire, je le crois même d’une qualité supérieure.

KEAN.

Vous paraissez amateur, monsieur le constable.

LE CONSTABLE.

Je suis passionné : il ne se passe pas dans mon arrondissement un boxing ou un combat de coqs que je n’y assiste ; j’adore les artistes.

KEAN.

Vraiment ! Eh bien ! monsieur le constable, si vous voulez être un de mes convives je vous ferai connaître un artiste, moi.

LE CONSTABLE.

Vous donnez un souper ?

KEAN.

Je suis parrain. Eh ! tenez, voilà la marraine, n’est-elle pas jolie ?

(Ketty-la-Blonde entre avec tous les convives.)
LE CONSTABLE.

Charmante ! je vais faire un tour chez moi, prévenir ma femme que je ne rentrerai pas de bonne heure.

KEAN.

Prévenez-la que vous ne rentrerez pas du tout, allez ; c’est plus prudent.

(Le constable sort.)