Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/672

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SALOMON.

Eh ! tenez, voilà…

DARIUS.

M. Kean ! je me sauve…

SALOMON.

Non, le médecin.

DARIUS.

Ah ! le médecin. Eh bien ! monsieur le docteur…

TOM.

Comment va Kean ?

DAVID.

Y a-t-il espoir ?

LE MÉDECIN, remettant un papier à Salomon.

Vous lui ferez suivre ponctuellement cette ordonnance, tout autre traitement que celui indiqué sur ce papier ne pourrait qu’empirer son état.

SALOMON.

Vous voyez que la chose est sérieuse, hein ? voyons ce qu’ordonne le médecin… — (Il retourne le papier de tous côtés, il est blanc.) Ah ! ah !

DARIUS.

Eh bien ! qu’ordonne le médecin ?

SALOMON.

Quatre douches, deux saignées, un sinapisme.

DAVID.

Veux-tu que je te dise, Salomon ? ça m’a l’air d’un âne, ton docteur.

DARIUS.

Oui, oui, oui, il me fait l’effet d’un âne.

DAVID.

Et à ta place, je le traiterais à ma mode.

SALOMON.

Que lui donneriez-vous, voyons ?

DAVID.

Je prendrais de bon vin de Bordeaux, je le mettrais dans une casserole avec du citron, de la cannelle et du sucre ; je le ferais chauffer, et de dix minutes, en dix minutes, je lui en donnerais un verre.

DARIUS.

Non, non, non, je ne ferais pas ça, moi.

SALOMON.

Eh bien, que ferais-tu ?

DAVID.

Je te dis qu’un verre…

DARIUS.

Non, écoutez, David, vous jouez bien le lion, vous êtes magnifique sous la peau d’animal, mais quand il s’agit de médecine, c’est autre chose ; à la place de Salomon, je ferais le vin chaud.

DAVID.

Tu vois bien.

DARIUS.

Patience ! je lui raserais d’abord la tête comme un genou, ça lui rafraîchirait le cerveau, ensuite je lui commanderais une perruque, ce qu’il y a de plus beau en cheveux, du cheveu No 1.

SALOMON.

Et le vin chaud ?

DARIUS.

Je le boirais, alors… — (On sonne.) Dites donc, Salomon, on sonne.

SALOMON.

Allons, encore un accès qui lui prend.

DARIUS.

Un accès, je me sauve !

(Salomon l’arrête.)
DAVID.

Filons, filons.

DARIUS.

Salomon, Salomon, pas de bêtises, voyons.

(On sonne encore.)
TOM ET BARDOLPH.

Sauve qui peut !

SALOMON.

Darius, mon ami, toi qui es le plus brave, reste avec moi, je t’en prie.

DARIUS.

Père Salomon, si vous ne me lâchez pas, je fais ma plainte, je vous dénonce, je ne vous poudre plus vos perruques, je vous enfonce des épingles noires dans les mollets, et je vous mords le nez. — (Salomon le lâche.) Ah ! mais…

(Il sort.)
SALOMON.

Ah ! les voilà partis ; j’espère que ça va se répandre, car si l’on venait à savoir…

PISTOL, se levant du coin où il est resté assis, et venant à Salomon.

Monsieur Salomon ?

SALOMON.

Tu es encore là, toi ! pourquoi n’es-tu pas parti avec les autres ?

PISTOL.

Parce que vous avez dit qu’il vous fallait quelqu’un, monsieur Salomon.

SALOMON.

Tu es un brave garçon, va-t’en.

PISTOL.

Moi, jamais !

SALOMON.

Me promets-tu d’être discret ?

PISTOL.

Moi, je crois bien. — (Salomon lui parle à l’oreille.) Vraiment ? oh !

SALOMON.

Pas un mot.

PISTOL.

On me couperait plutôt le cou. Oh ! que je sais content, que je suis content ! — (Il sanglote.) Oh ! monsieur Kean, monsieur Salomon, oh ! je m’en vas.

(Il sort,)