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Scène II.

 

SALOMON, KEAN, entrant.
KEAN.

Avec qui causais-tu donc là ?

SALOMON.

Avec des camarades du théâtre, cet imbécile de Darius et le petit Pistol.

KEAN.

Et que leur as-tu dit ?

SALOMON.

Que vous étiez fou à lier.

KEAN.

Tu as eu tort.

SALOMON.

Comment, j’ai eu tort ! mais songez donc que si l’on apprend jamais que cette folie n’était qu’une feinte…

KEAN.

Eh bien ?

SALOMON.

Et que vous avez insulté de sang-froid lord Mewill et le prince de Galles…

KEAN.

Après ?

SALOMON.

On vous punira sévèrement.

KEAN.

Que m’importe ? que peuvent-ils me faire ? Me mettre en prison ? eh bien ! j’irai.

SALOMON.

Oui, mais moi, je n’irai pas. — (À part.) Égoïste ! — (Haut.) Tandis que si seulement vous vouliez faire semblant pendant huit jours. Vous êtes si beau dans le roi Lear !

KEAN.

Monsieur Salomon, je joue la comédie depuis huit heures du soir jusqu’à minuit, mais jamais dans la journée.

SALOMON.

Maître.

KEAN.

Assez sur ce sujet : donne-moi la liste des personnes qui sont venues pour me voir.

SALOMON.

Il y en a deux, de listes : une ici, l’autre chez le concierge. Celle-ci est celle des amis intimes.

KEAN.

C’est bien, va !… Elle n’aura pas osé monter jusqu’ici, elle, mais elle sera venue en bas, ou elle aura envoyé ; je trouverai non pas son nom, sans doute, mais un mot, un signe auquel je reconnaîtrai qu’elle a pensé à moi, à moi qui souffre tant pour elle, mon Dieu !

SALOMON.

Tenez.

KEAN.

Donne.

SALOMON.

Il y a là plus de deux noms qui sont bien étonnés de se trouver ensemble.

KEAN.

Oui, oui, il y a là des noms de riches, de nobles et de puissants ; il y a là des noms d’artistes, d’ouvriers, de portefaix, depuis celui du duc de Sutzerland, premier ministre, jusqu’à celui de Williams le cocher. Oui, je crois que tous les noms y sont, excepté celui que je cherche ; elle n’aura pas osé envoyer. Oh ! pour venir elle-même, sans doute, elle saisira une occasion, le premier moment où son mari la laissera libre. Salomon, va dans la chambre à côté, ne laisse entrer personne… excepté…

SALOMON.

Ariel excepté, n’est-ce pas ?

KEAN.

Oui, oui, Ariel… va, mon bon Salomon, va ; et si elle vient, fais-la entrer à l’instant… sans lui demander son nom… car c’est une grande dame, vois-tu.

SALOMON.

Mais comment la reconnaître ?

KEAN.

Je n’attends qu’elle !

SALOMON.

Soyez tranquille.

(Il sort.)



Scène III.

 

KEAN, seul, puis SALOMON.
KEAN.

Dix heures, et pas un mot d’elle, pas un message, pas une lettre !… ah ! vous étiez plus inquiète de votre éventail que de moi, madame… oh ! ce n’est point comme cela qu’on aime, Elena, et c’est douloureux à penser que, si cet accident était réel, je serais mort peut-être à cette heure… sans vous avoir vue… sans avoir entendu parler de vous… Que je suis inquiet !… j’ai son portrait là, sur mon cœur… et je me plains… ne serait-ce pas plutôt que le comte, qui a trouvé cet éventail, à qui la scène scandaleuse que j’ai faite hier au prince de Galles, a dû ouvrir les yeux… oh ! oui, c’est possible, c’est probable, cela est. Oh ! quand je pense qu’à cette heure peut-être, Elena soupçon-