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Scène IV.

 

L’HÔTESSE, ANTONY
L’HÔTESSE, entre, deux flambeaux à la main ;
elle en pose un sur la table.

Monsieur, une dame, forcée de s’arrêter ici, a besoin d’une chambre ; vous avez eu la bonté de me dire que vous céderiez une de celles que vous avez retenues. Si monsieur est toujours dans les mêmes intentions, je le prierais de me dire de laquelle des deux il veut bien disposer en ma faveur…

ANTONY, d’un air d’indifférence.

Mais de celle-ci : c’est, je crois, la plus grande et la plus commode… je me contenterai de l’autre.

L’HÔTESSE.

Et quand, monsieur ?

ANTONY.

Tout de suite… — (L’hôtesse porte le second flambeau dans la pièce voisine et revient en scène tout de suite.) La porte ferme en dedans… cette dame sera chez elle.

L’HÔTESSE.

Je vous en remercie, monsieur. — (Elle va à la porte de l’escalier.) Madame… madame… vous pouvez monter… Par ici… là…

ANTONY, entrant dans l’autre chambre.

La voilà…

(Il ferme la porte de communication au moment où Adèle paraît.)



Scène V.

 

L’HÔTESSE, ADÈLE.
ADÈLE.

Et vous dites qu’il est impossible de se procurer des chevaux ?

L’HÔTESSE.

Madame, les quatre derniers sont partis il n’y a pas un quart d’heure.

ADÈLE.

Et quand reviendront-ils ?

L’HÔTESSE.

Cette nuit.

ADÈLE.

Ah ! mon Dieu ! au moment d’arriver… quand il n’y a plus d’ici à Strasbourg que deux lieues. Ah ! cherchez… cherchez s’il n’y a pas quelque moyen.

L’HÔTESSE.

Je n’en connais pas… Ah ! cependant, si le postillon qui a amené madame était encore en bas, peut-être consentirait-il à doubler la poste.

ADÈLE.

Oui, oui, c’est un moyen… Courez, dites-lui que ce qu’il demandera je le lui donnerai… Allez, allez. — (L’hôtesse sort.) Oh ! il y sera encore… il y consentira… et dans une heure je serai près de mon mari… Ah ! mon Dieu ! je n’entends rien… ne vois rien… Ce postillon sera reparti, peut-être… — (À L’hôtesse qui rentre.) Eh bien ?

L’HÔTESSE.

Il n’y est déjà plus… L’étranger qui vous a cédé cette chambre lui a dit quelques mots de sa fenêtre, et il est reparti à l’instant.

ADÈLE.

Que je suis malheureuse !

L’HÔTESSE.

Madame paraît bien agitée ?

ADÈLE.

Oui. Encore une fois, il n’y a aucun moyen de partir avant le retour des chevaux ?

L’HÔTESSE.

Aucun, madame.

ADÈLE.

Laissez-moi alors, je vous prie.

L’HÔTESSE.

Si madame a besoin de quelque chose, elle sonnera.


Scène VI.

 

ADÈLE, seule.

D’où vient que je suis presque contente de ce retard ? Oh ! c’est qu’à mesure que je me rapproche de mon mari il me semble entendre sa voix, voir sa figure sévère… Que lui dirai-je pour motiver ma fuite ?… Que je craignais d’en aimer un autre ?… Cette crainte seule, aux yeux de la société, aux siens, est presque un crime… Si je lui disais que le seul désir de le voir… ah ! ce serait le tromper… Peut-être suis-je partie trop tôt, et le danger n’était-il pas aussi grand que je le croyais… Oh ! avant de le revoir, lui, je n’étais pas heureuse, mais du moins j’étais calme… chaque lendemain ressemblait à la veille… Dieu ! pourquoi cette agitation, ce trouble… quand je vois tant de femmes ?… Oh ! c’est qu’elles ne sont point aimées par Antony… l’amour banal de tout autre homme m’eût fait sourire de pitié… mais son amour à lui… son amour… Ah ! être aimée ainsi et pouvoir l’avouer à Dieu et au monde… être la religion, l’idole, la vie d’un homme comme lui… si supérieur aux autres hommes… lui rendre tout le bon-