Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/103

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nombreux jardins de l’Annonciade de Nancy, tout peuplés de joyeuses pensionnaires. Quoi qu’il en fût pour le moment, son regard vague et à demi voilé se perdait dans le sombre miroir, placé devant elle, et qui reflétait les ténèbres que ne pouvait aller combattre au fond de cette grande pièce la lumière de la seule bougie qui, placée sur le clavecin, éclairait la musicienne.

Parfois elle s’arrêtait tout à coup. C’est qu’alors elle se rappelait l’étrange vision de la soirée et les impressions inconnues qui en avaient été la suite. Or, avant que sa pensée eût rien précisé à cet égard, le cœur avait déjà battu, et le frisson avait parcouru ses membres. Elle tressaillait comme si, tout isolée qu’elle était alors, le contact d’un être animé fut venu l’effleurer et la troubler en l’effleurant.

Tout à coup, comme elle cherchait à se rendre compte de ces impressions bizarres, elle les éprouva de nouveau. Toute sa personne frissonna comme secouée d’une commotion électrique. Ses regards prirent de la netteté, sa pensée se solidifia pour ainsi dire, et elle aperçut comme un mouvement dans la glace.

C’était la porte du salon qui s’ouvrait sans bruit.

Derrière cette porte apparut une ombre.

Andrée frémit, ses doigts s’égarèrent sur les touches.

Rien n’était plus naturel cependant que cette apparition.

Cette ombre qu’il était impossible de reconnaître, encore plongée dans les ténèbres qu’elle était, ne pouvait-elle être celle de monsieur de Taverney ou celle de Nicole ? La Brie, avant de se coucher, n’avait-il pas à rôder par les appartements et à entrer au salon pour quelque besogne ? La chose lui arrivait fréquemment, et, dans ces sortes de tournées, le discret et fidèle serviteur ne faisait jamais de bruit.

Mais la jeune fille voyait avec les yeux de l’âme que ce n’était ni l’une ni l’autre de ces trois personnes. L’ombre s’approcha d’un pas muet, se faisant de plus en plus distincte au milieu des ténèbres. Arrivée au cercle qu’embrassait la lumière, Andrée reconnut l’étranger, si effrayant, avec son visage pâle et sa redingote de velours noir.