Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/80

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manger jusqu’au moment où il l’avait saluée, et, de son côté, le baron n’avait pas perdu une seule des impressions produites sur son hôte par cet assemblage unique de perfections.

— Vous avez raison, dit à voix basse Balsamo en se retournant vers son hôte, mademoiselle est d’une précieuse beauté.

— Ne lui faites pas trop de compliments à cette pauvre Andrée, monsieur, dit négligemment le baron ; elle sort du couvent, et elle croirait à ce que vous lui dites. Ce n’est pas, ajouta-t-il, que je redoute sa coquetterie ; au contraire, la chère enfant n’est pas assez coquette, monsieur, et en bon père je m’applique à développer en elle cette qualité, qui fait la première force de la femme.

Andrée baissa les yeux et rougit. Quelque bonne volonté qu’elle y mît, elle n’avait pu faire autrement que d’entendre cette singulière théorie émise par son père.

— Disait-on cela à mademoiselle lorsqu’elle était au couvent ? demanda en riant Joseph Balsamo au baron, et cette prescription faisait-elle partie de l’enseignement donné par les religieuses ? — Monsieur, reprit le baron, j’ai mes idées à moi, comme vous avez peut-être déjà pu le voir.

Balsamo s’inclina en signe qu’il adhérait complétement à cette prétention du baron.

— Non, continua-t-il, je ne veux pas imiter, moi, ces pères de famille qui disent à leur fille : « Sois prude, inflexible, aveugle ; enivre-toi d’honneur, de délicatesse et de désintéressement ! » Les imbéciles ! Il me semble voir des parrains conduisant leur champion dans la lice, après l’avoir désarmé de toutes pièces, pour lui faire combattre un adversaire armé de pied en cap. Non, pardieu ! il n’en sera pas ainsi de ma fille Andrée, bien qu’élevée à Taverney, dans un trou provincial.

Quoique de l’avis du baron sur la désignation donnée à son château, Balsamo crut devoir mimer une contradiction polie.

— Bon, bon, reprit le vieillard, répondant au jeu de physionomie de Balsamo, bon ! je connais Taverney, vous dis-je ; mais, quoi qu’il en soit, et si éloigné que nous nous trouvions de ce soleil resplendissant qu’on appelle Versailles, ma fille