Majesté le plus divin convive, c’est qu’alors, sire, on n’oublie jamais, et qu’on prend vite une si douce habitude.
— Vous êtes une langue dorée, monsieur de Richelieu.
— Oh ! sire !
— En -somme, de qui voulez-vous parler ?
— De mon ami Taverney.
— De votre ami ? s’écria le roi.
— Pardon, sire.
— Taverney ! reprit le roi avec une espèce d’épouvante qui étonna fort le duc.
— Que voulez-vous, sire ! un vieux camarade…
Il s’arrêta un instant.
— Un homme qui a servi sous Villars avec moi.
Il s’arrêta encore.
— Vous le savez, sire, on appelle ami, en ce monde, tout ce qu’on connaît, tout ce qui n’est pas ennemi ; c’est un mot poli qui ne couvre souvent pas grand-chose.
— C’est un mot compromettant, duc, reprit le roi avec aigreur ; un mot dont il convient d’user avec réserve.
— Les conseils de Votre Majesté sont des préceptes de sagesse. M. de Taverney, donc…
— M. de Taverney est un homme immoral.
— Eh bien, sire, dit Richelieu, foi de gentilhomme, je m’en étais douté.
— Un homme sans délicatesse, monsieur le maréchal.
— Quant à sa délicatesse, sire, je n’en parlerai pas devant Sa Majesté ; je ne garantis que ce que je connais.
— Comment ! vous ne garantissez pas la délicatesse de votre ami, d’un vieux serviteur, d’un homme qui a servi avec vous sous Villars, d’un homme que vous m’avez présenté, enfin ? Vous le connaissez, cependant, lui !
— Lui, certainement, sire ; mais sa délicatesse, non. Sully disait à votre aïeul Henri IV qu’il avait vu sortir sa fièvre habillée d’une robe verte ; moi, j’avoue bien humblement, sire, que je n’ai jamais su comment s’habillait la délicatesse de Taverney.