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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/18

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apercevez donc pas combien vous êtes injuste ! Je viens pour vous rendre service.

M. de Sartine fit un mouvement.

— Service, oui, monsieur, reprit Balsamo, et voilà que vous vous méprenez à mes intentions ; voilà que vous me parlez de conspirateurs, juste au moment où je venais vous dénoncer une conspiration.

Mais Balsamo avait beau dire, en ce moment-là M. de Sartines ne prêtait pas grande attention aux paroles de ce dangereux visiteur ; si bien que le mot de conspiration, qui l’eût réveillé en sursaut dans les temps ordinaires, put à peine lui faire dresser l’oreille.

— Vous comprenez, monsieur, puisque vous savez si bien qui je suis, vous comprenez, dis-je, ma mission en France : envoyé par Sa Majesté le grand Frédéric, c’est-à-dire ambassadeur plus ou moins secret de Sa Majesté prussienne ; or, qui dit ambassadeur, dit curieux ; or, en ma qualité de curieux, je n’ignore rien des choses qui se passent, et l’une de celles que je connais le mieux, c’est l’accaparement des grains.

Si simplement que Balsamo eût prononcé ces dernières paroles, elles eurent plus de pouvoir sur le lieutenant de police que n’en avaient eu toutes les autres, car elle rendit M. de Sartine attentif.

Il releva lentement la tête.

— Qu’est-ce que l’affaire des grains ? dit-il en affectant autant d’assurance que Balsamo lui-même en avait déployé au commencement de l’entretien. Veuillez me renseigner à votre tour, monsieur.

— Volontiers, monsieur, dit Balsamo. Voilà ce que c’est.

— J’écoute.

— Oh ! vous n’avez pas besoin de me le dire. Des spéculateurs fort adroits ont persuadé à Sa Majesté le roi de France qu’il devait construire des greniers pour les grains de ses peuples, en cas de disette. On a donc fait des greniers : pendant qu’on y était, on s’est dit qu’il valait mieux les faire grands ; on n’y a rien épargné, ni la pierre ni le moellon, et on les a faits très grands.