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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/279

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peine, arriva jusqu’à son oreille à travers l’épaisseur de la cloison.

Ce bruit rendit à Andrée les tressaillements qui l’avaient tant fait souffrir. Il lui rendit ce mouvement haineux qui depuis quelques mois troublait son innocence et sa bonté, comme le choc trouble un breuvage dans les vases où sommeille la lie.

De ce moment, il n’y eut plus pour Andrée de sommeil ni de repos, elle se souvenait, elle haïssait.

Mais la force des sensations est d’ordinaire en raison des forces corporelles. Andrée ne trouva plus cette vigueur qu’elle avait manifestée dans sa scène du soir avec Philippe.

Le cri de l’enfant lui frappa le cerveau comme une douleur d’abord, puis comme une gêne… Elle en vint à se demander si Philippe, en éloignant cet enfant avec sa délicatesse accoutumée, n’avait pas été l’exécuteur d’une volonté un peu cruelle.

La pensée du mal qu’on souhaite à une créature ne répugne jamais autant que le spectacle de ce mal. Andrée, qui exécrait cet enfant invisible, cette idéalité, Andrée, qui désirait sa mort, fut blessée d’entendre crier le malheureux.

— Il souffre, pensa-t-elle.

Et aussitôt elle se répondit :

— Pourquoi m’intéresserais-je à ses souffrances… moi… la plus infortunée des créatures vivantes ?

L’enfant poussa un nouveau cri plus articulé, plus douloureux.

Alors Andrée s’aperçut que cette voix semblait éveiller en elle une voix inquiète, et elle sentit son cœur tiré comme par un lien invisible vers l’être abandonné qui gémissait.

Ce qu’avait pressenti la jeune fille se réalisait. La nature avait accompli l’une de ses préparations ; la douleur physique, cette puissante attache, venait de souder le cœur de la mère au moindre mouvement de son enfant.

— Il ne faut pas, pensa Andrée, que ce pauvre orphelin crie en ce moment, crie vengeance contre moi vers le ciel. Dieu a mis dans ces petites créatures, à peine écloses, la plus éloquente