Aller au contenu

Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des voix… On peut les tuer, c’est-à-dire les exempter de la souffrance, on n’a pas le droit de leur infliger une torture… Si l’on en avait le droit, Dieu ne leur aurait pas permis de se plaindre ainsi.

Andrée souleva la tête et voulut appeler sa servante ; mais sa faible voix ne put réveiller la robuste paysanne : déjà l’enfant ne gémissait plus.

— Sans doute, pensa Andrée, la nourrice est arrivée, car j’entends le bruit de la première porte… Oui, l’on marche dans la chambre voisine… et la petite créature ne se plaint plus… une protection étrangère s’étend déjà sur elle, et rassure son informe intelligence. Oh ! celle-là est donc la mère, qui prend soin de l’enfant… Pour quelques écus… l’enfant sorti de mes entrailles trouvera une mère ; et, plus tard, passant près de moi, qui ai tant souffert, près de moi, dont la vie lui causa la vie, cet enfant ne me regardera pas, et dira : « Ma mère ! » à une mercenaire plus généreuse en son amour intéressé, que moi dans mon juste ressentiment… Cela ne sera pas… J’ai souffert, j’ai acheté le droit de regarder cette créature en face… j’ai le droit de la forcer à m’aimer pour mes soins, à me respecter pour mon sacrifice et mes douleurs !

Elle fit un mouvement plus prononcé, rassembla ses forces et appela :

— Marguerite ! Marguerite !

La servante s’éveilla lourdement et sans bouger de son fauteuil, où la clouait un engourdissement presque léthargique.

— M’entendez-vous ? dit Andrée.

— Oui, madame, oui ! dit Marguerite, qui venait de comprendre.

Et elle s’approcha du lit.

— Madame veut boire ?

— Non…

— Madame veut savoir l’heure peut-être ?

— Non… non.

Et ses yeux ne quittaient point la porte de la chambre voisine.