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CXXXII

L’HOMME ET DIEU.


Les heures, ces étranges sœurs qui se tiennent par la main et qui passent d’un vol si lent pour l’infortuné, si rapide pour l’homme heureux ; les heures s’abattirent silencieusement en repliant leurs ailes pesantes sur cette chambre, pleine de soupirs et de sanglots.

D’un côté, la mort ; de l’autre, l’agonie.

Au milieu, le désespoir, douloureux comme l’agonie, profond comme la mort.

Balsamo n’avait plus proféré une seule parole depuis le cri déchirant qui avait déchiré sa gorge.

Depuis cette foudroyante révélation qui avait abattu la féroce joie d’Althotas, Balsamo n’avait pas fait un mouvement.

Quant au hideux vieillard rejeté violemment dans la vie telle que Dieu l’a faite aux hommes, il semblait aussi dépaysé dans cet élément nouveau pour lui que l’est l’oiseau atteint d’un grain de plomb, et tombé du haut d’un nuage dans un lac, à la surface duquel il se débat, sans parvenir à enfler ses ailes.

La stupéfaction de cette figure livide et bouleversée révélait l’incommensurable étendue de son désappointement.

En effet, Althotas ne prenait plus même la peine de penser, depuis que ses pensées avaient vu le but vers lequel elles se dirigeaient et auquel elles croyaient la solidité du roc, s’évanouir comme une fumée.

Son désespoir morne et silencieux avait quelque chose de l’hébétement. Pour un esprit peu accoutumé à mesurer le sien, ce silence eût peut-être été un indice de recherche ; pour Balsamo, qui du reste ne le regardait même pas, c’était l’agonie de la puissance, de la raison, de la vie.