Aller au contenu

Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Balsamo le regarda en haussant les épaules, mais sans daigner répondre un seul mot.

— J’ai soif, cria Althotas ; j’ai soif, donne-moi à boire, Acharat.

Balsamo ne répondit point, ne bougea point ; il regardait le moribond comme s’il n’eut rien voulu perdre de son agonie.

— M’entends-tu ? hurlait Althotas, m’entends-tu ?

Même silence, même immobilité de la part du morne spectateur.

— M’entends-tu, Acharat ? vociféra le vieillard en déchirant son gosier, pour faire passage à cette dernière irruption de sa colère ; mon eau, donne-moi mon eau !

La figure d’Althotas se décomposait rapidement.

Plus de feu dans son regard, des lueurs sinistres et infernales seulement ; plus de sang sous sa peau, plus de geste, presque plus de souffle ; ses longs bras si nerveux, dans lesquels il avait emporté Lorenza comme un enfant ; ses longs bras se soulevaient, mais inertes et flottants comme les membranes du polype ; la colère avait usé le peu de forces ressuscitées un instant en lui par le désespoir.

— Ah ! dit-il, ah ! tu trouves que je ne meurs pas assez vite ; ah ! tu veux me faire mourir de soif ! ah ! tu couves des yeux mes manuscrits, mes trésors ! ah ! tu crois déjà les tenir ! eh bien, attends ! attends !

Et Althotas, faisant un suprême effort, prit sous les coussins de son fauteuil un flacon qu’il déboucha. Au contact de l’air, une flamme liquide jaillit du récipient de verre, et Althotas, pareil à une créature magique, secoua cette flamme autour de lui.

À l’instant même, ces manuscrits empilés autour du fauteuil du vieillard, ces livres épars dans la chambre, ces rouleaux de papiers arrachés avec tant de peine aux pyramides de Chéops et aux premières fouilles d’Herculanum, prirent feu avec la rapidité de la poudre ; une nappe de flamme s’étendit sur le plancher de marbre, et présenta aux yeux de Balsamo quelque chose de pareil à un de ces cercles flamboyants de l’enfer dont parle Dante.