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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/94

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n’ai pas vu le roi ; ou bien encore : le roi ne m’a pas vu ; ou bien : le roi me boude. Cordieu ! duc, ce n’est pas ainsi qu’on répond à un vieil ami. Un mois, comprends donc ! mais c’est l’éternité.

Richelieu haussa les épaules.

— Que diable veux-tu que je dise, baron ? répliqua-t-il.

— Eh ! la vérité.

— Mordieu ! je te l’ai dite, la vérité ; mordieu ! je te la corne aux oreilles, la vérité ; seulement, tu ne veux pas la croire, voilà tout.

— Comment, toi, un duc et pair, un maréchal de France, un gentilhomme de la chambre, tu veux me faire accroire que tu ne vois pas le roi, toi qui vas tous les matins au lever ? allons donc !

— Je te l’ai dit et je te le répète, cela n’est pas croyable, mais c’est ainsi ; depuis trois semaines, je vais tous les jours au lever, moi duc et pair, moi maréchal de France, moi gentilhomme de la chambre !

— Et le roi ne te parle pas, interrompit Taverney, et tu ne parles pas au roi ! et tu veux me faire avaler une pareille bourde !

— Eh ! baron, mon cher, tu deviens impertinent, tendre ami ; tu me démens, en vérité, comme si nous avions quarante ans de moins et le coup de pointe facile.

— Mais c’est à enrager, duc.

— Ah ! cela c’est autre chose ; enrage, mon cher ; j’enrage bien, moi.

— Tu enrages ?

— Il y a de quoi. Puisque je te dis que depuis ce jour, le roi ne m’a pas regardé ! Puisque je te dis que Sa Majesté m’a constamment tourné le dos ! Puisque chaque fois que j’ai cru devoir lui sourire agréablement, le roi m’a répondu par une affreuse grimace ! Puisque enfin je suis las d’aller me faire bafouer à Versailles ! Voyons, que veux-tu que j’y fasse ?

Taverney se mordait cruellement les ongles pendant cette réplique du maréchal.

— Je n’y comprends rien, dit-il enfin.