Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/182

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affaire pressante, et, quelles que fussent nos instances, il n’y eut pas moyen de l’empêcher de nous accompagner. Monsieur Piglia avait raison de dire que nous réparerions le temps perdu : en moins d’une heure nous fîmes les huit milles qui séparent Palma de Gioja. A Gioja nous trouvâmes notre muletier et nos mulets, qui étaient arrivés de puis unedemi-heure et qui étaient repus et reposés. L’étape était énorme jusqu’à Monteleone ; nous primes congé de monsieur Piglia, nous enfourchâmes nos mules et nous partîmes.

En sortant de Gioja, au lieu de suivre les bords de la mer qui ne pouvaient guère rien nous offrir de nouveau, nous primes la route de la montagne, plus dangereuse, nous assura-t-on, mais aussi plus pittoresque. D’ailleurs, nous étions si familiarisés avec les menaces de danger qui ne se réalisaient jamais sérieusement, que nous avions fini par les regarder comme entièrement chimériques. Au reste, le passage était superbe, partout il conservait un caractère de grandeur sauvage qui s’harmoniait parfaitement avec les rares personnages qui le vivifiaient. Tantôt c’était un médecin faisant ses visites à cheval, avec son fusil en bandoulière et sa giberne autour du corps ; tantôt c’était le pâtre calabrais, drapé dans son manteau déguenillé, se tenant debout sur quelque rocher dominant la route, et pareil à une statue qui aurait des yeux vivans, nous regardant passer à ses pieds, sans curiosité et sans menace, insouciant comme tout ce qui est sauvage, puissant comme tout ce qui est libre, calme comme tout ce qui est fort ; tantôt enfin c’étaient des familles tout entières dont les trois générations émigraient à la fois : la mère assise sur un âne, tenant d’un bras son enfant et de l’autre une vieille guitare, tandis que les vieillards tiraient l’animal par la bride, et que les jeunes gens, portant sur leurs épaules des instrumens de labourage, chassaient devant eux un cochon destiné à succéder probablement aux provisions épuisées. Une fois, nous rencontrâmes, à une lieue près d’un de ces groupes qui nous avait paru marcher avec une célérité remarquable, le véritable propriétaire de l’animal immonde, qui nous arrêta pour nous demander si nous n’avions pas rencontré une troupe de bandits calabrais