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le caucase

La châsse qui recouvre l’image, à l’exception de la figure et des mains, comme dans toutes les images grecques, est littéralement couverte de pierres précieuses. C’est un des plus beaux bijoux du quinzième siècle.

Outre cette image, qui est d’un prix inestimable, il y en a d’autres fort belles : une représente un saint Georges que l’on nous a assuré être en or massif.

Dans tous les cas, il est d’une haute antiquité.

Tous ces trésors, il faut le dire, font un singulier effet au milieu de la saleté misérable de l’entourage. Mais ces trésors n’étaient rien au prix de ce qui nous restait à voir.

On nous conduisit dans une sacristie attenante à la cathédrale, dont le parquet était jonché de manuscrits en caractères grecs, et, selon toute probabilité, très-précieux. Là on nous apporta le trésor des habits sacerdotaux.

Un coffre à cadenas solides était enfermé dans un tapis éraillé. On tira le coffre du tapis, et du coffre des tiares en pierreries, des chasubles brodées en perles fines, des bijoux, et entre autres la couronne des rois de l’Iméritie.

Pour un amateur de vieille orfévrerie, il y avait là de quoi perdre la raison.

Notez que toutes ces richesses étaient enveloppées dans des guenilles et montrées par des hommes que l’on n’eût pas touchés avec des pincettes, et par eux mises à jour dans un temple délabré, où suintait la misère.

C’était bien ce côté oriental que j’ai déjà signalé : riche, pittoresque et sale.

Fanatisme et incurie, c’est tout l’Orient.

Restait à voir, — je dirais ce qui m’intéressait le plus, si je ne craignais de dire une impiété, — la porte de fer de Derbent.

On me conduisit dans un coin.

D’où venait cette gigantesque fermeture, cet unique battant ? je n’en sais rien.

Je n’avais rien pour le mesurer ; mais il me parut avoir cinq ou six mètres de haut et deux et demi de large.

C’est, autant que j’en pus juger, une porte de chêne, recouverte de plaques de fer, avec cinq traverses en fer.

Dans la portion inférieure, le fer est rongé et laisse voir le bois.

L’autre battant a été emporté par les Turcs en manière de trophée.

J’y reconnus les restes d’une inscription arabe, mais nul de nous n’entreprit de la déchiffrer.

Le temps nous pressait, nous voulions à tout prix partir le jour même. Nous n’avions plus que deux jours pour arriver le 21 à Poti. Nous laissâmes notre offrande aux moines de Gaélaëth, et nous revînmes à Koutaïs.

Nous avons dit tout ce que nous savions de la Colchide moderne, disons quelques mots de la Colchide antique, dont le démembrement a fait aujourd’hui la Mingrélie, l’Iméritie et le Gonriel.

Ses principales villes, dont le nom est venu jusqu’à nous à travers les siècles comme une vague écho du passé, sont Lazica, Pituisa, Dandary, Dioscurias, Archéopolis, Ea, Phasis, Kyta, Méchlessus, Madia, Surium.

On peut, sans trop torturer l’étymologie, trouver Sourham dans Surium, et Koutaïs dans Kyta.

Seulement, nous l’avons dit, quelques savants prétendent que Koutaïs est bâti sur les ruines d’Ea.

Or Ea, on le sait, était tout simplement la patrie de Médée.

Apollonius de Rhodes nous empêche, et l’on verra plus tard pourquoi, d’être de l’avis de ces savants.

On connaît l’expédition des Argonautes : nous n’en parlerions pas si nous ne tenions pas à constater qu’ici, de sa mère la fable, commence à naître l’histoire.

Raoul Rochette, dans son Étude sur les colonies grecques, ne doute pas un seul instant que Jason ait existé et que l’expédition des Argonautes ait eu lieu.

Il s’agit seulement de séparer intelligemment la fable de l’histoire.

Jason, ou plutôt Diomède, héritier du trône d’Iolchos, caché par sa mère Alcimède pour le soustraire aux persécutions de son oncle Pélias, élevé par Chiron, apprenant de lui la médecine, et tirant son nom de Jason du verbe grec ίᾶσθαι, guérir, quittant le Centaure pour aller consulter l’oracle, recevant de lui l’ordre de prendre le costume des Magnésiens, c’est-à-dire une peau de léopard, et deux lances, et de se présenter ainsi à la cour de Pélias, Jason traversant le fleuve Enipée avec le secours de Junon déguisée en vieille femme, — Junon le porte sur ses épaules ; — Jason perdant en route une de ses sandales, circonstance indifférente pour lui, mais grave pour l’usurpateur, auquel le même oracle a dit de se défier de celui qui se présenterait à lui avec une seule chaussure ; Jason redemandant à Pélias l’héritage de son père ; Jason envoyé par Pélias, afin de reprendre en Colchide la toison d’or qu’y ont emportée Phryxus et Hellé à travers les airs, — voilà la fable.

Mais Jason bâtissant un vaisseau ; mais Jason se hasardant avec une troupe d’hommes déterminés sur la mer Noire ; mais Jason remontant le Phase dans un but de commerce, probablement pour acheter cette poudre d’or que les Colchidiens recueillaient dans l’Hyppus et dans le Phase, en y étendant des peaux de moutons qui arrêtaient les pépites, — voilà la vérité.

Au temps de Strabon, tous les monuments qui attestaient cette expédition étaient encore debout en Colchide, et nous avons dit comment la tradition s’était perpétuée à travers la mémoire des peuples.

Du temps de Strabon, une plaine de Colchide s’appelait encore Argo, et l’on attribuait à Argus, fils de Phryxus, la construction du temple de Leuchotoé et la fondation d’Idessa.

Mais il y avait, selon toute probabilité, dans l’expédition des Argonautes, un autre but plus élevé, quoiqu’il se rapprochât du premier, c’était de purger la mer Noire des pirates qui l’infestaient. C’est ce qui fit de l’expédition de Jason une expédition non-seulement aventureuse, mais sacrée, de laquelle s’emparèrent les poëtes.

Cette première ligue servit quarante ans plus tard de modèle à celle qui se forma pour prendre Troie.

Tacite et Trogue-Pompée ne se bornent point à parler du premier voyage de Jason en Colchide ; ils en consignent un second dans lequel Jason aurait partagé entre ceux qui l’auraient suivi les terres conquises et fondé des colonies, non-seulement sur le Phase, mais encore dans l’intérieur, ce qui correspond à merveille à ces ruines qui portent le nom de