Page:Dumas - Le Salteador.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fille, — quoique cette anomalie soit plus commune en Espagne que partout ailleurs, et à l’époque où nous la signalons qu’à toute autre époque, ce qu’il y avait surtout d’étrange dans cette jeune fille, disons-nous, c’était la richesse du costume comparée à l’humilité de l’occupation assise sur une grosse pierre, au pied d’une de ces croix funèbres dont nous avons parlé, à l’ombre d’un énorme chêne vert, les pieds trempant dans un ruisseau dont l’eau miroitante les recouvrait comme d’une gaze d’argent, elle filait à la quenouille et au fuseau.

Près d’elle bondissait, suspendue au rocher, et broutant le cytise amer, comme dit Virgile, une chèvre, bête inquiète et aventureuse, propriété habituelle de celui qui n’a rien.

Et, tout en tournant son fuseau de la main gauche, tout en tirant son fil de la main droite, et en regardant ses pieds, autour desquels bouillonnait et murmurait le ruisseau, la jeune fille chantait à demi-voix une espèce de refrain populaire qui, au lieu d’être l’expression de sa pensée, semblait ne servir que d’accompagnement à la voix qui murmurait au fond de son cœur, et que nul n’entendait.

Puis, de temps en temps, non pas pour la faire revenir, mais comme pour lui adresser un mot d’amitié, la chanteuse interrompait son chant et son travail, appelait sa chèvre du mot arabe par lequel on désigne son espèce, et, chaque fois que la chèvre entendait le mot Maza, elle secouait mutinement la tête, faisait tinter sa sonnette d’argent, et se remettait à brouter.