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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le reconnaître, et, si jamais il se représente à mes avant-postes, dans quelque partie du monde que je me trouve, faites-le fusiller, sans même me déranger pour me dire que justice est faite.

L’agent du Directoire n’en demanda pas davantage ; il disparut, et mon père compta un implacable ennemi de plus.

Ces spoliations étaient communes en Italie ; mais celles des monts-de-piété étaient, en général, les plus lucratives dans ces temps de gêne et de misère. Presque tous les bijoux, tous les diamants et toute l’argenterie des grands seigneurs italiens étaient au mont-de-piété. Beaucoup même, forcés par les événements politiques de quitter leur pays, y faisaient porter, comme dans un dépôt inviolable, tout ce qu’ils avaient de plus précieux.

Puis arrivait un agent du Directoire qui, avec un pouvoir vrai ou faux, — certains gouverneurs n’y regardaient pas de si près, — faisait rafle complète, établissait d’abord la part du général, la sienne ensuite, puis envoyait le reste au gouvernement.

Un des agents les plus connus de cette époque avait reçu le nom prédestiné de Rapinat. Il exerçait principalement dans la Lombardie.

On avait fait sur lui ces quatre vers :

Le Milanais, que l’on ruine,
Voudrait bien que l’on décidât
Si Rapinat vient de rapine
Ou rapine de Rapinat.

Aussi, lorsque, après deux mois de résidence dans le pays, mon père quitta le gouvernement du Trévisan pour aller prendre celui de la Polésine, dont le siège est à Rovigo, trouva-t-il à la porte du palais une excellente voiture attelée de quatre chevaux et le cocher sur le siège qui l’attendait.

C’était un cadeau de la ville de Trévise.