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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

25 juillet, à quatre heures du soir, Bonaparte faisait son entrée au Caire.

Nul mieux que Bonaparte ne connaissait cette mise en scène de la victoire, qui double dans le monde le bruit qu’elle doit faire répéter d’écho en écho ; nul mieux que Bonaparte ne trouvait, à tête reposée, ces mots sublimes qui sont censés avoir été dits avant, pendant ou après le combat, et dont un des plus célèbres est celui-ci :

— Soldats, du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent !

Veut-on savoir maintenant le degré d’exagération apporté par le bulletin du général en chef ? Veut-on se faire une idée juste de l’impression produite par ce combat, sur ceux-là mêmes qui y avaient assisté, et y avaient joué des rôles qui n’étaient pas tout à fait secondaires ?

Qu’on me permette de transcrire cette lettre de mon père adressée à Kléber, demeuré, comme on sait, à Alexandrie, en qualité de gouverneur, et surtout pour s’y remettre de sa blessure :

» À Boulak, près le Caire,
le 9 thermidor an vi.xxx

« Nous sommes enfin arrivés, mon ami, au pays tant désiré. Qu’il est loin, bon Dieu ! de ce que l’imagination la plus raisonnable se l’était représenté. L’horrible villasse du Caire est peuplée d’une canaille paresseuse, accroupie tout le jour devant des huttes infâmes, fumant et prenant du café ou mangeant des pastèques et buvant de l’eau.
xxxx » On peut se perdre aisément tout un jour dans les rues puantes et étroites de cette fameuse capitale. Le seul quartier des mamelouks est habitable ; le général en chef y demeure dans une assez belle maison de bey. J’ai écrit au chef de brigade Dupuis, actuellement général et commandant au Caire, pour qu’il t’y fît réserver une maison… Je n’ai pas encore sa réponse.
xxxx » La division est à une espèce de ville appelée Boulak, près du Nil, à une demi-lieue du Caire. Nous sommes tous logés