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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Aman (pardon) !

Mon père alla rendre compte à Bonaparte de la prise de la mosquée. Celui-ci connaissait déjà les détails ; il reçut parfaitement mon père, avec lequel l’envoi du trésor avait commencé de le raccommoder.

— Bonjour, Hercule ! lui dit-il ; c’est toi qui as terrassé l’hydre.

Et il lui tendit la main.

— Messieurs, continua-t-il en se retournant vers ceux qui l’entouraient, je ferai faire un tableau de la prise de la grande mosquée. Dumas, vous avez déjà posé pour la figure principale.

Le tableau fut en effet commandé à Girodet ; mais à ce tableau, on se le rappelle, il n’y a, pour figure principale, qu’un grand hussard blond, sans nom et presque sans grade ; c’est lui qui tint la place de mon père, qui, huit jours après l’insurrection du Caire calmée, se brouilla de nouveau avec Bonaparte, en insistant plus que jamais pour revenir en France.

En effet, tiré un instant, par l’insurrection du Caire, de cette nostalgie à laquelle il s’était laissé aller, mon père y retomba bientôt. Un dégoût profond de toute chose s’était emparé de lui avec le dégoût de la vie, et, malgré les conseils de ses amis, il insista obstinément pour que Bonaparte lui accordât son congé.

Dans une dernière entrevue qu’il eut avec mon père, Bonaparte tenta un dernier effort pour le déterminer à rester ; il alla même jusqu’à lui dire qu’un jour ou l’autre lui-même passerait en France, et lui promettre de le ramener avec lui. Rien ne put calmer ce désir de départ, devenu une véritable maladie.

Malheureusement, Dermoncourt, le seul homme qui eût quelque influence sur mon père, était retourné à son régiment et stationnait à Belbeys. Lorsqu’il apprit que le départ de son général était arrêté, il accourut au Caire et se rendit chez lui. Il trouva l’appartement démeublé, et mon père faisant une vente des objets qui lui étaient inutiles.