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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Avec l’argent de cette vente, mon père acheta quatre mille livres de café moka, onze chevaux arabes dont deux étalons et neuf juments, et fréta un petit bâtiment nommé la Belle-Maltaise.

Le défaut de nouvelles, toutes interceptées par les croisières anglaises, faisait qu’on ignorait complètement ce qui s’était passé en Europe.

Disons, pour l’intelligence des faits qui vont suivre, un mot des événements de Rome et de Naples. Nous serons aussi succinct que possible.

Ferdinand et Caroline régnaient à Naples. Caroline, seconde Marie-Antoinette, avait en haine les Français, qui venaient de tuer sa sœur. C’était une femme ardente à toutes les passions de la haine et de l’amour, luxurieuse à la fois de plaisirs et de sang.

Ferdinand était un lazzarone ; à peine savait-il lire, à peine savait-il écrire ; jamais il n’a connu d’autre langue que le patois napolitain. Il avait, dans ce patois, fait une petite variante au panem et circenses antique. Il disait :

— Les Napolitains se gouvernent avec trois F : Força, — Festa, — Farina ; — Fourche (potence), — Fête, — Farine.

On comprend qu’un traité arraché par la terreur à de pareils souverains, ne pouvait avoir son exécution que tant qu’ils demeureraient sous l’empire de cette terreur. Cette terreur, c’était Bonaparte qui la leur avait particulièrement inspirée. Or, non-seulement Bonaparte était en Égypte, mais encore on venait d’apprendre la nouvelle que la flotte française avait été détruite à Aboukir, et, à la suite de cette destruction, on tenait Bonaparte pour perdu, l’armée française pour anéantie.

Déjà, au moment où l’escadre anglaise s’apprêtait à arrêter notre marche vers le but encore inconnu de notre expédition, la flotte anglaise, au mépris de nos traités avec Ferdinand, avait été reçue dans le port de Naples avec des démonstrations non équivoques de sympathie. Ce fut bien autre chose après la bataille d’Aboukir.

À peine la flotte de Nelson eut-elle été signalée en vue de