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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lazaret, me donner raison contre les incrédules. J’avais alors à grand’peine obtenu d’être visité par un médecin, lequel se contenta de m’ordonner des remèdes tellement insignifiants, que le mal demeura stationnaire.

» Quelques jours après mon entrée au château, ce même médecin me vint visiter, sans être demandé cette fois.

» C’était le 16 juin, à dix heures du matin.

» J’étais au bain ; il me conseilla un biscuit trempé dans un verre de vin, et se chargea de m’envoyer des biscuits. Dix minutes après, les biscuits promis arrivaient.

» Je fis comme il avait conseillé ; mais, vers les deux heures de l’après-midi, je fus violemment saisi de douleurs d’entrailles et de vomissements qui m’empêchèrent de dîner d’abord, et qui, en redoublant toujours d’intensité, me mirent bientôt à deux doigts de la mort.

» Je me rappelai aussitôt les recommandations des patriotes et le mot poison souligné ; je demandai du lait. Une chèvre, que j’avais ramenée d’Égypte et qui était une distraction dans ma captivité, m’en fournit par bonheur la valeur d’une bouteille et demie. La chèvre épuisée, mon domestique se procura de l’huile et m’en fit avaler trente ou quarante cuillerées ; quelques gouttes de citron, mêlées à cette huile, corrigeaient ce que ce remède avait de nauséabond.

» Dès qu’il me vit en ce fâcheux état, le général Manscourt fit prévenir le gouverneur de l’accident qui venait de m’arriver ; le priant d’envoyer chercher à l’instant même le médecin ; mais le gouverneur répondit tranquillement que la chose était impossible, attendu que le médecin était à la campagne.

« Ce ne fut que vers huit heures du soir, et lorsque les instances de mon compagnon de captivité prirent le caractère de la menace, qu’il se décida enfin à venir avec lui dans ma prison ; il était accompagné de tous les membres du gouvernement et escorté de douze soldats armés.

» Ce fut avec cet appareil militaire, contre lequel Manscourt protesta de toute la hauteur de son courage et de toute la force de sa loyauté, que la consultation me fut donnée.