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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Sans doute le médecin, pour se présenter devant moi, avait besoin de toute cette force armée ; car, si bien soutenu qu’il fût en entrant dans ma chambre, il était lui-même pâle comme un mort.

» Ce fut alors moi qui l’interpellai, et si vivement, qu’il balbutia, me répondant à peine, et avec un tel embarras dans ses réponses, qu’il me fut facile de voir que, s’il n’était pas l’auteur du crime, — et c’était probable, car cet homme n’avait aucun intérêt à ma mort, — il en était du moins l’instrument.

» Quant aux remèdes à suivre, il m’en ordonna un seul, qui était de boire de l’eau glacée ou de sucer de la neige.

» À l’empressement que l’on mit à suivre l’ordonnance de ce misérable, je me défiai ; et, en effet, au bout d’un quart d’heure de ce traitement, le mal avait tellement empiré, que je me hâtai d’y renoncer et de revenir à mon huile et à mon citron.

» Ce qui me confirma dans cette croyance que j’étais empoisonné, ce fut, outre les douleurs d’entrailles et les vomissements qui avaient tous les caractères de l’empoisonnement par les matières arsénieuses, ce fut, dis-je, que je me rappelai avoir vu, à travers la porte ouverte, tandis que j’étais au bain et avant qu’il vînt à moi, le médecin s’approcher du général Manscourt, qui lisait dans la chambre voisine, et lui dire mystérieusement qu’il était certain que nous devions être dépouillés comme l’avaient été nos compagnons ; en conséquence, il se mettait à sa disposition, s’engageant, si nous avions quelques objets précieux, à nous les conserver jusqu’à notre sortie de prison, époque à laquelle il s’empresserait de nous les rendre.

» Il avait profité, pour faire cette proposition au général Manscourt, de l’absence d’un canonnier tarentin, nommé Lamarroune, qui était son complice, mais avec lequel il ne se souciait pas de partager nos dépouilles.

» Le lendemain, ma chèvre mourut… Elle m’avait sauvé la vie, il fallait la punir.