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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mon père avait vingt-deux ans.

Il se trouvait, un soir, en grand négligé, au théâtre de la Montansier, dans la loge d’une créole fort belle et fort en réputation à cette époque. Soit à cause de la grande popularité de la dame, soit à cause de son négligé, il se tenait sur le derrière de la loge.

Un mousquetaire qui, de l’orchestre, avait reconnu la dame, se fit ouvrir la loge, et, sans demander autrement la permission, vint s’asseoir auprès d’elle et commença d’entamer la conversation.

— Pardon, monsieur, dit la dame l’interrompant aux premiers mots qu’il prononça, mais il me semble que vous ne remarquez pas assez que je ne suis pas seule.

— Et avec qui donc êtes-vous ? demanda le mousquetaire.

— Mais avec monsieur, je pense, répliqua la dame en indiquant mon père.

— Oh ! pardon ! dit le jeune homme, je prenais monsieur pour votre laquais.

Cette insolence n’était pas plus tôt lâchée, que l’impertinent mousquetaire, lancé comme par une catapulte, allait tomber au milieu du parterre.

Cette chute, à laquelle personne ne s’attendait, produisit un grand tumulte.

Elle intéressait non-seulement celui qui tombait, mais encore ceux sur qui il tombait.

Le parterre était debout à cette époque, et n’eut, par conséquent, pas besoin de se lever ; il se retourna, en poussant de grands cris, vers la loge d’où avait été lancé le mousquetaire.

Mon père, qui s’attendait aux suites qu’une pareille affaire devait naturellement avoir, sortit à l’instant même de la loge pour attendre son adversaire dans le corridor. Mais il n’y trouva qu’un officier de la connétablie qui le toucha de sa baguette d’ébène à pomme d’ivoire, en lui annonçant qu’au nom de messeigneurs les maréchaux de France, il s’attachait à sa personne.

C’était la première fois que mon père avait affaire à la con-