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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le jour de l’accouchement arriva.

Plus ce jour approchait, plus la croyance de ma mère prenait d’intensité. Elle prétendait que je faisais dans son ventre des bonds comme un diable seul pouvait en faire, et que, quand je lui donnais des coups de pied, elle sentait les griffes dont mes pieds étaient armés.

Enfin arriva le 24 juillet. La demie sonna après quatre heures du matin, et je naquis.

Mais, en venant au monde, il paraît qu’à force de me tourner et retourner, je m’étais pris le cou dans le cordon ombilical, de sorte que j’apparus violet et à moitié étranglé.

La femme qui assistait ma mère poussa un cri.

— Oh ! mon Dieu ! murmura ma mère ; noir, n’est-ce pas ?

La femme n’osa répondre : du violet, au noir, il y avait si peu de différence, que ce n’était pas la peine de la démentir.

En ce moment, je voulus crier, comme fait en entrant dans la vie cette créature, destinée à la douleur, que l’on appelle l’homme.

Le cordon me serrait le cou, je ne pus faire entendre qu’une espèce de grognement, analogue à un bruit qui n’était que trop présent à l’oreille de ma mère.

— Berlick ! s’écria-t-elle désespérée, Berlick !…

Heureusement, l’accoucheur se hâta de la rassurer ; il me dégagea le cou, et ma face reprit sa couleur, et mon cri fut un vagissement enfantin et non un grognement diabolique.

Mais je n’en étais pas moins baptisé du nom de Berlick, et le nom m’en resta.

Quant au second paragraphe du post-scriptum : « Il court toujours sur la pointe de ses pieds, et les sabots n’y ont rien fait ; » ce second paragraphe avait trait à une particularité de mon organisation qui fît que, jusqu’à l’âge de quatre ans, je marchai ou plutôt je courus, — car je ne marchais jamais et je courais toujours, — je courus, dis-je, sur l’extrême pointe des pieds.

Ellsler, près de moi, eût paru danser sur les talons.

Il résultait de cette manière toute particulière de me mouvoir, que, quoique je ne tombasse pas plus souvent qu’un au-