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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ris, qui rosse le commissaire, et qui finit par être emporté par le diable.

Qu’est-ce que Faust, sinon un libertin usé, blasé, peu rusé, c’est vrai, qui enlève Marguerite, qui tue son frère, qui rosse les bourgmestres, et qui finit par être emporté par Méphistophélès ?

Je ne me hasarderai pas à dire que Polichinelle est plus poétique que Faust, mais j’oserai soutenir qu’il est aussi philosophe et plus amusant.

Notre homme à la baraque avait établi son spectacle sur la pelouse, et donnait, par jour, trente ou quarante représentations de cette sublime farce qui nous a tous fait rire, enfants, et fait réfléchir, hommes.

Ma mère, enceinte de sept mois, alla voir Polichinelle. Notre homme à la baraque était un homme d’imagination. Au lieu d’appeler son diable tout simplement le diable ; il lui avait donné un nom :

Il l’appelait Berlick.

L’apparition de Berlick frappa singulièrement ma mère.

Berlick était noir comme un diable. Berlick avait une langue et une queue écarlates. Berlick ne parlait que par une espèce de grognement, qui ressemblait au bruit que fait un siphon d’eau de Seltz au moment où la bouteille achève de se vider ; bruit inconnu à cette époque où ces siphons n’étaient pas inventés, mais, par cela même, d’autant plus effrayant.

Ma mère resta préoccupée de cette figure fantastique, au point qu’au sortir de la baraque, elle s’appuya sur sa voisine en disant :

— Ah ! ma chère, je suis perdue, j’accoucherai d’un Berlick !

Sa voisine, qui était enceinte comme elle, et qui s’appelait madame Duez, lui répondit :

— Alors ma chère, si tu accouches d’un Berlick, moi qui étais avec toi, j’accoucherai d’un Berlock.

Les deux amies rentrèrent à la maison en riant ; mais, chez ma mère, le rire n’était pas franc, et elle demeura convaincue qu’elle mettrait au monde un enfant qui aurait un visage noir, une queue rouge et une langue de feu.