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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pendant les deux heures qui précédèrent la mort, et pendant lesquelles celui qui allait quitter ce monde essaya de consoler ceux qui allaient y demeurer après lui.

Une fois, il demanda à me voir ; puis, comme on s’apprêtait à m’aller chercher chez ma cousine, où l’on m’avait emporté :

— Non, dit-il. Pauvre enfant ! il dort ; ne le réveillez pas.

Enfin, après avoir dit adieu à madame Darcourt et à l’abbé, il se retourna vers ma mère, et, gardant pour elle son dernier soupir, il expira entre ses bras, à minuit sonnant.


XX


Mon amour pour mon père. — Son amour pour moi. — On m’emporte chez ma cousine Marianne. — Plan de la maison. — La forge. — Apparition. — J’apprends la mort de mon père. — Je veux monter au ciel pour tuer le bon Dieu. — Notre situation à la mort de mon père. — Haine de Bonaparte.

Cette nuit où mon père mourut, je fus emporté hors de la maison par maman Zine et installé près de mon autre cousine Marianne, qui demeurait chez son père, rue de Soissons. Soit qu’on ne voulût pas mettre mon enfance en contact avec un cercueil, la mort étant prévue, soit qu’on craignit l’embarras que je pourrais causer, cette précaution fut prise vers les cinq heures du soir ; puis maman Zine revint à la maison.

Ma pauvre mère avait besoin d’aide pour la nuit qu’elle allait passer.

J’adorais mon père. Peut-être, à cet âge, ce sentiment, que j’appelle aujourd’hui de l’amour, n’était-il qu’un naïf étonnement pour cette structure herculéenne et pour cette force gigantesque que je lui avais vu déployer en plusieurs occasions ; peut-être encore n’était-ce qu’une enfantine et orgueilleuse admiration pour son habit brodé, pour son aigrette tricolore et pour son grand sabre, que je pouvais à peine soulever ; mais tant il y a, qu’aujourd’hui encore le souvenir de mon père, dans chaque forme de son corps, dans chaque