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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pelait Demoustier, lorsqu’il écrivait, sur l’écorce de l’un de vous, ces vers disparus avec vous, et que moi seul sais peut-être aujourd’hui :

Ce bois fut l’asile chéri
De l’amour autrefois fidèle ;
Tout l’y rappelle encore, et le cœur attendri
Soupire en se disant : « C’est ici que Henri
Soupirait près de Gabrielle. »

Et c’est pourtant cela qui l’a renversé, cet homme, qui se croyait plus solidement enraciné au trône que vous ne l’étiez à la terre. C’est qu’il ne comprenait rien de ce qui était grand ; c’est que chaque chose, dépouillée de ce prestige que lui prête l’imagination, n’avait à ses yeux que sa valeur matérielle ; c’est qu’il se disait : « Tout homme se peut acheter, comme tout arbre se peut vendre. J’ai d’immenses forêts, je vendrai des arbres, et j’achèterai des hommes. »

Sire, vous vous trompiez. Il y a autre chose dans la vie que l’algèbre et que l’arithmétique : il y a la croyance, il y a la foi ; vous n’avez pas cru aux autres, et les autres n’ont pas cru en vous ; vous avez soufflé sur le passé, et le passé a soufflé sur vous.

Oh ! que nous voilà loin de cette maison de M. Deviolaine qui me semblait un palais !

Beaux arbres ! c’est que vous étiez non-seulement un palais, mais un temple ; un temple où le Seigneur se manifestait à moi, quand, couché à vos pieds, et tout ignorant encore de leurs noms, j’essayais de contempler, à travers la voûte mobile de votre feuillage, les étoiles de vos belles nuits d’été. Combien de fois, quand l’enfant rieur et turbulent commençait de faire place au jeune homme rêveur ; combien de fois, caressé par l’herbe que la brise courbait sur moi, j’ai tendu deux bras vers une étoile plus brillante que les autres ou essayé de saisir un rayon de la lune qui se jouait sur mon visage, en disant : « Seigneur, vous êtes là-haut ! Seigneur, vous êtes ici ! Seigneur, vous êtes partout ! Seigneur, prenez-moi dans votre main puissante, et faites de moi un instrument