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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

laine était un palais très-apprécié par moi, pauvre enfant, qui, élevé aux châteaux des Fossés et d’Antilly, courant sans cesse par les chemins et les pelouses, semblais nourri d’air et de soleil. Cette maison de M. Deviolaine se composait d’abord d’un corps de logis assez considérable, d’écuries et de remises, de basses-cours et d’un charmant jardin, moitié anglais, moitié français, c’est-à-dire moitié pittoresque, moitié fruitier. Le jardin anglais avait des cascades, des bassins, des saules pleureurs ; le jardin fruitier avait force poires, pêches, reines-Claude, artichauts et melons ; ensuite, il donnait sur un magnifique parc : pour la vue, par une grille ; pour la promenade, par une porte.

Ce parc, planté par François Ier, fut abattu par Louis-Philippe.

Beaux arbres ! à l’ombre desquels s’étaient couchés François Ier et madame d’Étampes, Henri II et Diane de Poitiers, Henri IV et Gabrielle, vous aviez le droit de croire qu’un Bourbon vous respecterait ; que vous vivriez votre longue vie de hêtres et de chênes ; que les oiseaux chanteraient sur vos branches mortes et dépouillées, comme ils chantaient sur vos branches vertes et feuillues ! Mais, outre ce prix inestimable de poésie et de souvenirs, vous aviez malheureusement un prix matériel, beaux hêtres à l’enveloppe polie et argentée, beaux chênes à l’écorce sombre et rugueuse ! vous valiez cent mille écus ! Le roi de France, qui était trop pauvre pour vous conserver avec ses six millions de revenus particuliers, le roi de France vous a vendus ! Je n’eusse eu que vous pour toute fortune, que je vous aurais gardés, moi car, poëte que je suis, il y a une chose que je préférerais à tout l’or de la terre, c’est le murmure du vent dans vos feuilles ; c’est l’ombre que vous faisiez trembler sous mes pieds ; ce sont les douces visions, les charmants fantômes qui, le soir, entre le jour et la nuit, à l’heure douteuse du crépuscule, glissaient entre vos troncs séculaires, comme glissent les ombres des antiques Abencérages entre les mille colonnes de la mosquée royale de Cordoue !

Il était loin de se douter de cela, cet autre poëte qu’on ap-