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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

arrivait à donner la mémoire aux âmes, on aurait résolu le grand, mystère dont Dieu garde le mot : les âmes alors se souviendraient, et l’immortalité serait révélée.

En somme, au milieu de ces promenades, au milieu de ces jeux, au milieu de ce commencement d’éducation, je grandissais, je jouais sur mon violon la Marche des Samnites et l’ouverture de Lodoïska ; et Hiraux, son bonnet noir rabattu sur les deux oreilles, déclarait à ma mère qu’il avait trop de conscience pour lui voler plus longtemps les dix francs par mois qu’elle lui donnait pour faire de moi un musicien.

Je renonçai d’autant plus facilement à ces leçons, que j’eusse interrompues depuis longtemps déjà, si ma sympathie pour Hiraux ne l’avait pas emporté sur mon horreur pour le solfège ; je renonçai, dis-je, d’autant plus facilement à ces leçons, que j’avais commencé de prendre des leçons bien autrement attrayantes pour moi : je prenais des leçons d’armes.

De ce beau château, ancienne maison de plaisance des ducs d’Orléans, la République avait fait une caserne, et l’Empire un dépôt de mendicité.

J’avais découvert, dans ce dépôt, un ancien maître d’armes ; seulement, il avait une avarie : donnant des leçons sans masque, le fleuret d’un de ses élèves avait pénétré dans la bouche, et lui avait déchiré la luette. Cet accident, — qui, en le rendant presque muet, ou plutôt en lui créant un baragouin à peu près inintelligible, avait rendu chez lui la démonstration presque impossible, — cet accident, disons-nous, joint à un grand amour de la bouteille, avait conduit notre ancien Saint-Georges à la demeure royale de François Ier, devenue une succursale du dépôt de mendicité de la Seine.

Cet homme s’appelait le père Mounier, et, j’en demande bien pardon à Grisier, son continuateur, c’est lui qui, à l’âge de dix ans, me donna les premières leçons d’armes.

Car j’avais dix ans, à peu près, quand je commençai à manifester ce peu de goût pour la musique et ce grand enthousiasme pour les exercices du corps.