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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au milieu de tout cela, et tout en ne rêvant que sabres, épées, pistolets et fusils, j’étais demeuré fort poltron à un seul endroit. Comme la nature, j’avais horreur du vide. Aussitôt que je me sentais suspendu à une certaine distance de terre, j’étais comme Antée, la tête me tournait, et je perdais toutes mes forces. Je n’osais descendre seul un escalier dont les marches étaient un peu roides, et je n’eusse jamais osé, comme mes jeunes camarades, aller dénicher un nid à la cime d’un arbre.

Cette couardise me valait toute sorte de berneries de la part de mes cousines Deviolaine, de leur frère Félix et de ma sœur aînée. On s’amusait à me conduire, sous prétexte de jouer à cache-cache ou à tout autre jeu, dans des greniers dont, la porte une fois fermée, on ne pouvait plus descendre qu’à l’aide d’une échelle. Alors, j’employais, à la grande jubilation des autres enfants, toutes les supplications pour obtenir qu’on me rouvrit la porte ; puis, comme on se gardait bien de se rendre à mes prières, je me décidais enfin à descendre par l’échelle, descente que j’exécutais le plus gauchement du monde, à la vue de la société.

Un jour, je faillis être tué pour être resté en bas, tandis que les autres étaient montés en haut. Toute la société enfantine avait entrepris l’ascension d’une meule de paille au pied de laquelle j’étais resté. Ma cousine Cécile, vrai garçon pour les habitudes, et qui, pareille à la princesse Palatine, semblait convaincue qu’elle changerait de sexe à force de sauter et de bondir, ma cousine Cécile était arrivée la première au faîte, lorsque, se penchant pour me regarder et se moquer de moi, le pied lui manqua : elle roula sur la déclivité de la meule, me tomba à califourchon sur les épaules, et faillit me rompre le cou.

Une preuve de sang-froid que je donnai au milieu d’un grand danger me réhabilita pourtant dans l’esprit de mes jeunes amis et amies. C’était le jour des Rois ! on avait dîné chez M. Deviolaine. La royauté de la fève m’était échue, et, après le dîner, je m’étais empressé de transporter le siège de mon empire dans le jardin. En lançant un bâtiment de papier sur