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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je rentrai chez nous, je me glissai dans ma chambre, je pris une des couvertures de mon lit, et j’écrivis sur un bout de papier :

« Ne sois pas inquiète de moi, bonne mère : je me sauve parce que je ne veux pas être curé. »

Et j’allai rejoindre Boudoux, qui, ayant fait sa récolte du soir, m’attendait à l’entrée du parc.

Boudoux avait justement deux mares tendues, la mare du chemin de Vivières, et la mare du chemin de Compiègne. À la mare du chemin de Compiègne, il avait une hutte ; c’est à cette hutte que j’allai demander un refuge contre le séminaire de Soissons.

Je passai trois jours et trois nuits dans la forêt ; la nuit, je m’enveloppais dans ma couverture, et je dormais, je dois le dire, sans aucun remords ; le jour, j’allais d’une mare à l’autre, et je récoltais les oiseaux pris.

Ce que nous prîmes d’oiseaux pendant ces trois jours, c’est incalculable ; le troisième jour, les deux mares étaient ruinées pour jusqu’aux prochaines couvées.

Nous soulignons le mot ruinées, parce que c’est le mot technique.

Ces trois jours augmentèrent mon antipathie pour le séminaire, mais, en même temps, me donnèrent une terrible sympathie pour la marette.

Au bout de ces trois jours, je revins ; mais je n’osai pas rentrer directement à la maison ; j’allai trouver ma bonne amie madame Darcourt, et je la priai d’annoncer à ma mère le retour de l’enfant prodigue, et de ménager sa rentrée dans la maison maternelle.

Hélas ! plus les enfants sont prodigues, mieux ils sont reçus. Quand le véritable enfant prodigue rentra chez son père, après trois ans, on tua un veau, s’il n’était rentré qu’après six ans, on eût tué un bœuf.

Ma mère m’embrassa en m’appelant méchant. Elle me promit qu’il ne serait plus question entre nous du séminaire, en-