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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

L’abbé Grégoire n’était pas un esprit élevé ; c’était mieux que cela, c’était un esprit juste ; deux cents écoliers lui sont passés par les mains pendant les quelques années qu’il a tenu collège. Je ne sache pas qu’un seul ait mal tourné.

Depuis quarante ans qu’il était attaché à l’église de Villers-Cotterets, jamais une de ces petites médisances qui font sourire les indévots et les libertins n’avait été hasardée sur son compte ; les mères qui s’étaient confessées à lui dans leur jeunesse, et pendant la sienne, lui menaient leurs filles avec confiance, parce qu’elles savaient qu’à travers la grille du confessionnal ne passeraient alors, comme autrefois, que des paroles chastes et paternelles.

Jamais il n’avait eu ni bonne ni gouvernante ; il vivait avec sa sœur, petite vieille maigre, un peu acariâtre, un peu bossue, qui adorait, je me trompe, qui vénérait son frère.

Pauvre cher abbé, que nous avons rendu si malheureux, que nous avons tant fait enrager, qui nous grondait si fort, et qui nous aimait tant !

Il en avait été de lui comme d’Hiraux ; je l’aimais tant avant qu’il fût question d’aller au collège, que je me décidai, sans le moindre effroi, à cette grande innovation dans mon existence. D’ailleurs, à côté du séminaire, qu’était-ce que cela ?

La classe de l’abbé Grégoire ouvrait à huit heures et demie du matin, aussitôt la messe dite ; puis elle fermait à midi. Chacun s’en allait dîner chez ses parents ; on était de retour à une heure ; à une heure cinq minutes, la classe se rouvrait pour se refermer à quatre.

Joignez à cela les dimanches, fêtes, demi-fêtes et quarts de fête, et vous conviendrez que ce n’était pas une existence bien dure que celle que j’allais mener.

En général, à l’âge que j’avais, je n’étais pas très-aimé des autres enfants de la ville ; j’étais vaniteux, insolent, rogue, plein de confiance en moi-même, rempli d’admiration pour ma petite personne, et cependant, avec tout cela, capable de bons sentiments, quand le cœur était mis en jeu au lieu et place de l’amour-propre ou de l’esprit.

Quant au physique, je faisais un assez joli enfant ; j’avais