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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de longs cheveux blonds bouclés, qui tombaient sur mes épaules, et qui ne crêpèrent que lorsque j’eus atteint ma quinzième année ; de grands yeux bleus qui sont restés à peu près ce que j’ai encore aujourd’hui de mieux dans le visage ; un nez droit, petit et assez bien fait ; de grosses lèvres roses et sympathiques ; des dents blanches et assez mal rangées. Là-dessous, enfin, un teint d’une blancheur éclatante, lequel était dû, à ce que prétendait ma mère, à l’eau-de-vie que mon père l’avait forcée de boire pendant sa grossesse, et qui tourna au brun à l’époque où mes cheveux tournèrent au crépu.

Pour le reste du corps, j’étais long et maigre comme un échalas.

Les cadres du collège de l’abbé Grégoire n’étaient pas larges : vingt-cinq ou trente écoliers suffisaient pour les remplir ; c’était donc un événement que l’arrivée d’un nouvel élève au milieu de ce petit nombre d’élèves.

De mon côté, cette entrée était une grande affaire : on m’avait fait tailler, dans une redingote de mon grand-père, un habillement complet. Cet habillement était café au lait foncé, tout chiné de points noirs. J’en étais assez satisfait, et je pensais qu’il produirait une certaine sensation sur mes camarades.

À huit heures du matin, un lundi d’automne, je m’acheminai donc vers le puits où j’allais boire la science à pleines lèvres, marchant d’un pas grave, levant le nez d’un air fier, portant sous le bras toute ma bibliothèque de grammaires, d’Epitome historiæ sacræ, de dictionnaires et de rudiments, tout cela neuf comme mes habits, et jouissant d’avance de l’effet qu’allait produire mon apparition sur le commun des martyrs.

On entrait dans la cour de l’abbé Grégoire par une grande porte faisant voûte assez prolongée, et donnant sur la rue de Soissons. Cette porte était toute grande ouverte.

Mes yeux plongeaient dans la cour : elle était vide.

Je crus un instant que j’étais en retard, et qu’on était déjà en classe. Je franchis rapidement le seuil ; en même temps, la porte se ferma derrière moi, de grands cris de joie retenti-