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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

monta deux ou trois marches, et, approchant son lorgnon de son œil (il était myope comme une taupe), me regarda en me demandant ce que j’avais.

J’allais répondre ; mais, derrière l’abbé, vingt poings fermés s’allongèrent, vingt figures menaçantes me firent une grimace significative. Je poussai un hurlement ; l’abbé Grégoire se retourna : tous les visages sourirent, toutes les mains rentrèrent dans les poches.

— Mais qu’a-t-il donc ? demanda l’abbé.

— Nous n’en savons rien, répondirent les hypocrites ; c’est comme cela depuis qu’il est arrivé.

— Comment ! depuis qu’il est arrivé, il pleure ?

— Oh ! mon Dieu, oui. N’est-ce pas ? n’est-ce pas ? n’est-ce pas ?

— Oui ! oui ! oui ! répondirent toutes les voix. Dumas pleure.

— Mais, enfin, pourquoi pleure-t-il, Dumas ?

— Dame ! répondit l’un d’eux qui connaissait la tradition, sans doute Dumas pleure parce que Dumas a des larmes… L

a raillerie m’exaspéra.

— Non ! m’écriai-je, non, je ne pleure pas parce que j’ai des larmes ; je pleure parce que… parce que… parce qu’ils m’ont pissé sur la tête, la !…

Le crime était si étrange, l’idée si baroque, que l’abbé me me fit répéter l’accusation deux fois.

Puis, se retournant vers les élèves :

— Montons, messieurs ; nous reparlerons de cela là-haut.

— Ah ! mioche ! ah ! rapporteur ! ah ! dénonciateur ! dirent tout bas dix voix ; sois tranquille, va, en sortant !…

L’abbé se retourna.

On se tut et l’on entra en classe. Chacun prit sa place ; moi seul n’avais pas la mienne. Je restai debout.

— Viens ici, mon petit ami, dit l’abbé.

— Me voilà, monsieur l’abbé, fis-je en pleurnichant.

Il me tâta.

— Mais il est tout mouillé, cet enfant !…